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Éric Plamondon : droit au but

L’écrivain québécois se fait petit à petit une renommée pour ses textes engagés.

Evangéline Durand-Allizé | Le Délit

Certaines plumes font des manières, prennent leur temps, s’épanouissent dans l’image et l’implicite. D’autres s’épargnent toutes ces fioritures et vont immédiatement tailler dans le vif, découper les tranches les moins reluisantes du réel et les exposer au regard stupéfait de leurs lecteur·rice·s. Celle d’Éric Plamondon fait partie de la seconde catégorie. 

Dans ses deux romans les plus récents, Taqawan (2017) et Oyana (2019), le Québécois établi à Bordeaux s’intéresse à deux sujets en apparence assez éloignés l’un de l’autre, soit les événements de Restigouche de 1981 et l’héritage laissé par l’ETA — un groupe terroriste pro-indépendance basque, très actif dans les années 1990 dans la région — à sa dissolution en 2018. Des sujets étrangers en apparence seulement, car pour qui s’y intéresse de plus près, ces deux récits partagent de vraies similitudes dans leurs manières d’aborder les thèmes de l’identité, de la coexistence et de la loyauté. Chacun des deux romans décortique un conflit particulier, son contexte, son enjeu. Solidement documentées, bien ficelées, assez didactiques dans le ton, engagées sans verser dans la caricature, les deux œuvres sont construites sur un fond théorique qui n’empêche nullement le déploiement d’un certain lyrisme, au contraire. Plamondon cultive un goût pour l’anecdote, le détail technique et la précision historique, convaincu que ce sont les petites histoires qui font la grande. Il mêle ainsi l’intime à l’universel, avec des personnages un peu cabossés qui deviennent les porte-paroles d’idéaux qui les dépassent. Éric Plamondon sait à la fois prendre son public par la main et le remettre à sa place : avec fermeté, pédagogie, douceur. Un équilibre rare, qui donne lieu à des romans marquants. 

Taqawan : histoire de destruction

Taqawan, peut-être le plus ambitieux des deux textes, se construit à mi-chemin entre le policier, le roman de mœurs et le traité de biologie, un mélange aussi improbable que réussi. Le·a lecteur·rice se trouve déconcerté·e, presque agressé·e de toutes parts ; par la violence du prologue, par la masse d’information reçue, par la détresse des personnages. Un trouble parfaitement maîtrisé par l’écrivain, qui guide ainsi son lectorat dans les méandres de l’événement, en révèle le côté tragique comme insolite, et parvient à créer un quatuor inoubliable de personnages aussi disparates que complémentaires. Le roman ne perd jamais de vue le sujet central de l’histoire du Québec, tant sur le plan social que culturel, sur ses aspects les plus graves comme les plus légers. L’auteur articule avec justesse la crise écologique, environnementale, territoriale et humaine en montrant combien les tensions peuvent s’exacerber les unes les autres.

Oyana : mémoires et héritage

Dans Oyana, seuls deux personnages portent l’histoire, et encore, on ne les découvre qu’à travers une longue lettre, écrite par Oyana à son compagnon Xavier. Cela suffit cependant pour camper le couple avec une redoutable efficacité, et pour faire de ce court roman une lecture fulgurante. En 150 pages à peine, l’on comprend dans quelle mesure le passé de l’héroïne est relié à celui de l’ETA, combien elle a passé sa vie à se fuir elle-même, comment elle en est venue à renverser du jour au lendemain les fragiles fondations d’une existence dans laquelle elle ne s’est jamais reconnue. 

Plus intimiste, mais peut-être encore plus violent que Taqawan, Oyana brosse un portrait touchant d’une femme privée de son existence par des idéaux auxquels elle n’est même pas certaine d’avoir cru, et laisse à son·sa lecteur·rice un sentiment assez unique : un mélange d’effroi et de fascination. 


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