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Nature en déchéance

Expression créative

Niels Ulrich | Le Délit

Je me meurs. Je sens le poison dans ma sève, la décrépitude dans mon sang. Je souffre. J’attends avec impatience le lever du soleil tous les jours. Il ne réchauffe qu’une parcelle de ma peau si froide. Et mon âme. Ou peut-être est-ce une simple illusion. Cette chaleur me fait oublier temporairement ma décadence. Mes branches s’affaissent mollement vers le sol. Je me rappelle l’époque où elles tendaient si fièrement vers le ciel. Mes bras étaient ouverts, si accueillants. Les simples arbustes me jalousaient. Le jeune homme un peu plus loin m’enviait avec tellement d’ardeur. Mon écorce brillait au Soleil ou à la Lune. Mon tronc encore sain était fort et imposant. Aujourd’hui, il peine à soutenir son propre poids. Mes os sont faibles. Pourquoi la force a‑t-elle décidé d’habiter ailleurs ? Nous faisions une belle équipe, elle et moi. Je lui rendais sa juste valeur et elle me donnait sa grâce. Je régnais dans la nature. Mes racines se nourrissaient avec verve dans le sol. Je ne suis plus que l’ombre de celui que j’étais. Mais elle fait pitié. Elle se cache timidement derrière. Je ne produis plus de bourgeons au printemps. Il semblerait que la maladie affecte mon système reproductif. J’en ai d’abord été choqué, mais après y avoir longuement réfléchi, à quoi bon étendre des parcelles de nous-même alors que celles-ci nous échappent ?

La maladie me prend tout. Je suis seul. J’attends. Je ne sais plus ce que j’attends. J’ai oublié. Je suis confus. Ça m’arrive. De plus en plus. Passer ses jours dans le même décor, toujours. Je comptais les couchers de soleil, au début. J’ai perdu le compte. Avec le compte est aussi parti l’espoir. Après l’hiver, mes feuilles n’ont pas repoussé. Tout est resté à l’intérieur, ou peut-être suis-je rendu vide. Je n’ai plus rien à donner. La douleur prend toute la place. J’en suis désormais composé. Ça brûle. Je regarde parfois mon corps, craintif d’être victime d’un feu de forêt. Je ne sais pas si ça me soulage de voir que je ne me suis pas transformé en flamme. Ça mettrait fin plus vite à mon calvaire. Mais ce n’est pas comme ça que ça fonctionne, ici. « C’est de l’acharnement thérapeutique », je leur crache au visage. Pourquoi est-ce qu’on ne me laisse pas mourir ? Je veux juste que tout s’arrête. Deux de mes branches ont cassé cette semaine, d’épuisement. Quand je disais que la maladie me prenait tout. On ne peut même plus me considérer comme un arbre, je n’en ai plus les caractéristiques. Ma dignité m’a quitté.

Ce matin, j’ai demandé la pilule. On m’a répondu qu’il n’y en avait pas.

Il semblerait que même dépourvu de mon humanité je sois damné à me laisser pourrir.

J’attends.


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