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Les (im)pulsions de David Goudreault

Le Délit rencontre David Goudreault, romancier et slameur québécois. 

Courtoisie du Theatre du Marais

Cette semaine, Le Délit a eu l’immense honneur de s’entretenir avec David Goudreault, artiste multidisciplinaire. Premier Québécois à remporter la Coupe du monde de poésie à Paris en 2011, il s’est fait connaître du grand public pour sa trilogie La bête et sa mère (2015), La bête et sa cage (2016), et Abattre la bête (2017), trilogie pour laquelle il a remporté de nombreux prix. Malgré son emploi du temps chargé, il a réussi à trouver du temps, après avoir déballé son épicerie, pour répondre à nos questions. 

Le Délit (LD) : Tu es romancier, poète, slameur, chroniqueur, travailleur social et papa. Ma première question : comment on fait pour avoir un horaire de seulement 24 heures par jour quand on s’appelle David Goudreault ?

David Goudreault (DG) : C’est une excellente question. Je ne sais pas trop. J’imagine qu’il y a une question d’énergie, d’appétit, là-dedans. Ce que Freud pouvait appeler libido, mais au sens plus large que seulement sexuel. Je pense qu’il y a une sorte de désir incroyable d’embrasser et de m’investir dans plusieurs choses en même temps. Ce qui me force finalement à m’organiser. Je dirais que le secret, c’est l’organisation. Ça me permet de faire tous mes projets. 

LD : J’ai l’impression que tu nous parles ici d’une forme de « pulsion de vie », pour en revenir à Freud ?

DG : Absolument ! J’ai travaillé plusieurs années en prévention comme travailleur social et il y avait toujours cet enjeu d’ambivalence chez les personnes suicidaires, entre la vie et la mort. J’ai moi-même vécu des périodes de détresse, de pulsion de mort, d’autodestruction, et il y a cette espèce de retour du balancier naturel, auquel maintenant je prête épaule. J’ai ce goût de la vie et cette espèce d’inquiétude par rapport au temps qui passe. Mon désir de vivre est très grand et ça me donne l’énergie d’aller au bout de ces divers projets. J’ai longtemps été un « rêveur » et maintenant j’essaye d’être un « faiseur ».

LD : Ce qui m’intéresse d’abord c’est la manière originale dont tu exerces ton métier. Tu utilises ton expérience professionnelle pour faire de la poésie avec les jeunes et les moins jeunes dans des ateliers d’intervention auprès des groupes vulnérables. Comment t’est venue l’idée de mêler ton métier de travailleur social à la poésie ?

DG : En fait, j’ai l’impression que je ne l’ai pas tant voulu, mais que ça s’est imposé. Les gens l’ont réalisé avant moi. Les organismes communautaires et les prisons m’ont demandé avant même que j’aie le temps de m’offrir. De fil en aiguille, avec le bouche-à-oreille et les rencontres, j’ai eu beaucoup de demandes. Maintenant j’ai le beau problème de devoir en refuser, ce qui me permet de choisir. Il y a des lieux où, à chaque fois, c’est magique. Cette semaine encore, j’étais à Donnacona, un pénitencier à sécurité maximum, avec des personnes qui ont commis des crimes très graves. Au contact de la littérature, certains deviennent très sensibles et très humains. Ils ont quelque chose à dire et veulent découvrir. Il y a une belle résonance de ma vie professionnelle de travailleur social dans ma vie artistique.

Courtoisie de Santké

LD : On a beaucoup parlé de toi dans les dernières années pour ta trilogie de la bête. Ça a vraiment accroché les gens, cet humour noir, hyper cynique et criant de réalisme. T’attendais-tu à une réponse aussi positive de la part des lecteurs ?

DG : Absolument pas. Ça a été une très belle surprise pour moi. D’un autre côté, je t’avouerais que j’avais une crainte à la base, à l’écriture du premier roman. J’avais peur que mes collègues intervenants considèrent que je me moquais de nos clients, ou qu’il y avait un manque de respect à travers ça. Finalement, c’est pratiquement ceux qui l’apprécient le plus ! (rires, ndlr) Enfin, on peut se permettre de prendre ça avec un pas de recul, de rire de ces situations-là. Moi, je trouvais que c’était ce qui manquait à la littérature. On parlait beaucoup de criminalité, mais on représentait mal, j’ai l’impression, ce que c’était vraiment. On voit beaucoup les criminels comme des espèces de héros, des tueurs en série géniaux, alors que la plupart des crimes sont commis par des gens souvent vulnérables, un peu en détresse, eux-mêmes victimes. Je voulais qu’on retrouve ça en littérature.

LD : Décidément, tes romans, on l’espère, s’éloignent de l’autofiction. Tu dis t’être inspiré de ton expérience professionnelle pour donner du réalisme à ton personnage. Dans quelle mesure ta vie personnelle est-elle présente dans la trilogie ?

DG : Assez peu, en fait. Mon personnage est peut-être ce que j’aurais pu devenir de pire. Sinon, c’est vraiment ma vie professionnelle. Peut-être quelques rencontres, des gens qui ont croisé ma route à une autre époque. Mais ça demeure de la fiction. Je dirais même que c’est un de mes combats, comme auteur, de ramener le droit à la fiction en littérature québécoise. Dans les salons du livre, les gens me questionnent souvent, ils pensent d’emblée que la trilogie raconte mon histoire. Je leur réponds : écoutez, si c’était de l’autofiction, je serais rendu à deux meurtres, à de la torture d’animaux, à des viols, alors je ne serais sûrement pas dans un salon du livre présentement ! (rires, ndlr)

LD : Tu avais dit en entrevue de ton personnage qu’il est « d’autant plus dangereux qu’il est articulé ». On pourrait dire la même chose de toi. Tu remets en question beaucoup d’idées reçues dans la société. Tu as été chroniqueur pour Le Soleil, La Tribune, Le Nouvelliste, et j’en passe. Est-ce que c’est important, pour toi, d’utiliser sa plume pour faire passer des messages politisés ?

DG : Bonne question ! Je dirais que c’est peut-être une déformation professionnelle du travailleur social, qui a toujours un peu envie de faire de la sensibilisation à travers ses écrits. Mais pour moi, ce n’est pas systématique. J’ai écrit plusieurs nouvelles ou poèmes où c’était de la pure fiction. J’ai l’impression que si un texte pouvait réellement changer le monde, ça ferait longtemps que Give Peace A Chance (chanson solo de John Lennon, ndlr) aurait complété sa mission. J’essaie d’être engagé, peut-être par intégrité par rapport à moi-même, ou en espérant aider quelqu’un quelque part. D’un autre côté, je suis conscient des limites que j’ai. Je suis plein de bonne volonté, je veux ben, mais je n’ai pas l’impression que je peux faire une grande différence. Dans mes actions, j’essaie d’être cohérent. Et dans mes écrits, j’essaye de porter quelque chose qui a du sens pour moi. J’ai l’impression que j’ai ce devoir de participer à la conversation. Pour moi, c’est déjà significatif. Comme chroniqueur, je ne suis pas un expert. Mon expertise d’artiste est plus sur la forme que sur le fond. Je suis davantage dans une démarche artistique que dans une démarche de sensibilisation ou de prévention. 

LD : Tu écrivais cette semaine dans La Presse « Je ne suis qu’un écrivain, un chroniqueur dont la voix se perd dans le flot continu des opinions ». Tu exprimais d’ailleurs ton mécontentement face aux difficultés que présente la francisation pour les personnes immigrantes du Québec. À l’Université McGill, l’enjeu de la langue nous touche beaucoup. Ce n’est pas évident de faire perdurer le français dans un milieu anglophone. On a beaucoup d’étudiant·e·s étranger·ère·s, qui viennent de partout dans le monde, et pour qui le français est parfois la troisième, voire quatrième langue. Pourquoi c’est important, selon toi, de défendre la langue française au Québec ?

DG : Justement, parce qu’il y a, au-delà de l’enjeu identitaire, un enjeu culturel et un enjeu de vivre-ensemble. C’est l’idée qu’on doit tendre vers l’autre. Je crois profondément au  mélange des cultures, je crois que c’est riche, qu’on a besoin de l’immigration. Pour moi, il y a cette réalité-là quand tu visites quelqu’un, du fait que tu dois aussi tendre vers lui, pas seulement être accueilli. Donc, moi, quelqu’un qui ne connaît que le mot bonjour, déjà, je vais être très ouvert. On va discuter en anglais ou j’essayerais de me débrouiller avec mes bases de créole ou de ce que tu veux. L’idée c’est qu’il doit y avoir un effort de part et d’autre. Je ne suis pas pour la conception unilatérale qui demande à ce qu’on parle uniquement français au Québec, mais c’est quand même la première langue, et il y a cette réalité de notre particularité culturelle qu’il faut préserver. Je pense que l’immigration est bienvenue, ma copine est immigrante, mais je suis dans un désir de voir l’autre tendre vers moi afin de tendre vers lui aussi.

Comme n’importe quel dépendant, je suis quelqu’un de très intense. De pouvoir transposer l’intensité que je mettais à consommer dans la lecture, l’écriture, c’est une espèce de transfert sain.

LD : Tu es présentement en tournée pour ton spectacle Au bout de ta langue. J’ai d’ailleurs eu la chance d’y assister. C’est un hommage assez gargantuesque que tu rends à nos poètes québécois, tu y fais l’éloge de la poésie et des mots, avec comme fil narrateur l’histoire d’un certain David Goudreault. Qu’est-ce que ça te fait de te livrer comme ça à ton public ?

DG : Tu vois, c’est un bon lien avec ta question précédente dans le sens où, pour moi, une des grandes richesses qu’on a et qu’on doit faire valoir dans la lutte de la survie économique, démographique, idéologique, c’est la poésie québécoise, qu’on connaît peu, qu’on visite peu. Mais c’est une carte de visite incroyable. J’essaye à travers mon spectacle de faire connaître ça et de nous en rendre fiers. Le fait de me livrer, c’est pour moi plus un moyen qu’une finalité. J’exemplifie ce que la littérature a fait pour moi, pour démontrer ce qu’elle peut faire pour d’autres. En quelque sorte, je m’exploite un peu. C’est un moyen que j’utilise.

LD : Dans ton spectacle, tu parles notamment de tes dépendances, auxquelles tu as dû mettre un frein pour continuer de vivre adéquatement. Dans quelle mesure la littérature a été salvatrice pour toi ?

DG : Effectivement, elle a été et est hyper importante. Ne serait-ce parce que c’est une sorte de déplacement. Comme n’importe quel dépendant, je suis quelqu’un de très intense. De pouvoir transposer l’intensité que je mettais à consommer dans la lecture, l’écriture, c’est une espèce de transfert sain. Je prends quelque chose qui était malsain, destructeur pour moi, et je le déplace dans quelque chose qui est constructif, qui devient une espèce de planche de salut super intéressante. Je dirais que la littérature a contribué beaucoup à mon rétablissement. Il y a beaucoup d’énergie, de passion et d’intensité là-dedans. À travers l’écriture, la lecture, il y a une sorte d’ivresse, que je cherchais dans les substances à une certaine époque.

À travers l’écriture, la lecture, il y a une sorte d’ivresse, que je cherchais dans les substances à une certaine époque. 

LD : Ça m’amène à la prochaine question, est-ce qu’on écrit pour soi ou pour les autres ? 

DG : C’est une grande question. Je te dirais que ça dépend de chaque auteur, et dans mon cas à moi ça dépend du genre littéraire. C’est-à-dire que je vais écrire de la poésie pour moi-même et je vais écrire des romans pour les autres. Dans le même genre littéraire, ça peut dépendre des sujets aussi. Certains sujets me tiennent vraiment à cœur, j’ai parfois un message à passer, tandis que d’autres fois, j’écris davantage pour nourrir une réflexion chez les autres qu’en moi-même. C’est clair que pour moi il y a une grande différence entre la prose et le vers. En poésie, c’est plus introspectif, c’est un besoin viscéral. Quand j’écris des romans, j’ai toujours le lecteur en tête, le jeu de la littérature qui est d’écrire pour faire réagir, réfléchir. 

LD : Penses-tu un jour mettre un frein à ta carrière d’intervenant pour te consacrer uniquement à la littérature, ou est-ce deux pans de ta vie qui ont besoin de cohabiter ? 

DG : J’ai l’impression qu’en ce moment les deux se mélangent bien. Quand je suis dans les prisons ou avec les jeunes, j’ai les deux chapeaux en même temps. Je ne travaille plus comme travailleur social directement, je suis encore membre de l’Ordre (l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, ndlr), mais je ne fais plus d’intervention en tant que telle. Je me considère plus comme artiste qu’intervenant. Comme un artiste dont la carrière de travailleur social a largement nourri l’œuvre.

 

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