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La couverture québécoise des mouvements sociaux français doit être remise en question

Mahaut Engérant

Face notamment aux violences symboliques quotidiennes, à la pauvreté monétaire et la précarité en général, au présidentialisme ultra-centralisé et exacerbé d’Emmanuel Macron et la crise de l’offre politique, au creusement des inégalités sociales, économiques et territoriales, de nombreux·ses Français·e·s manifestent en continu depuis plusieurs semaines. Les réformes proposées par le gouvernement en réponse à leurs demandes n’ont pas apaisé la colère de ceux et celles que l’on appelle maintenant les « Gilets Jaunes ».

Dans la couverture médiatique des manifestations et du mouvement en général, nous avons remarqué un écart entre Gilets Jaunes et « grands » médias traditionnels qui relatent de manière assez unilatérale le mouvement. Par exemple, en couvrant les cas de violence lors du mouvement, les médias mettent de l’avant les violences perpétrées par les Gilets Jaunes et accordent beaucoup moins d’espace et de couverture aux violences commises par les forces de l’ordre sur les manifestant·e·s, renforçant l’idée que seul l’État détient le droit d’user de la violence.
Certains médias deviennent donc la cible de critiques de la part des Gilets Jaunes et sont considérés comme se rangeant du côté du gouvernement plutôt que comme un moyen efficace et fidèle de partager les revendications des militant·e·s.
Seule une petite minorité de médias indépendants relatent les violences et dérapages de l’État au même titre que les violences dont certains « Gilets Jaunes » sont à l’origine. Il suffit de regarder les titres des journaux majeurs sur le sujet pour prendre conscience de ce déséquilibre dans le traitement de l’information.

Dans la couverture québécoise des contestations des « Gilets Jaunes », nous avons observé de grands écarts entre l’information partagée dans la presse québécoise et celle diffusée par les médias indépendants en France.
Nous regrettons que la force du mouvement et les nuances nécessaires à son appréhension ne soient pas fidèlement transmises.

Puisque les organes de presse nationaux se reposent sur les agences de presse pour obtenir des informations sur les situations politiques internationales, il arrive souvent l’information ne soit pas contre vérifiée, sans doute faute de temps et de moyens. Cela serait un problème de moindre importance si les conversations politiques (souvent d’ampleur) prenant corps autour des informations bâclées n’entraînaient pas une telle incompréhension du problème.

Nous pouvons citer la représentation du Printemps érable du point de vue de la France et celle des Gilets jaunes à partir du Québec comme exemples frappants des limites propres à la couverture des enjeux militants internationaux. Les journaux québécois prennent sur eux les informations partagées par les grands journaux français. Les critiques — légitimes — adressées aux journaux français sont pourtant économisées dans cette transaction de l’information. En revanche, les journaux québécois ne citent pas les journaux français indépendants comme Mediapart ou encore Thinkerview. Pourtant, beaucoup des articles diffusés par ces médias nuancent le propos des journaux traditionnels.
Par exemple, quand Le Monde s’évertuait à traquer, tracer et classer les profils sociologiques des « Gilets Jaunes », Laurent Mucchielli nous exhortait dans The Conversation à éviter de « se précipiter pour mettre des mots d’allure savante sur des choses mal connues » et « fournir des interprétations toutes faites informant davantage sur les représentations de leurs auteurs que sur la réalité qu’ils prétendent éclairer ». Le sociologue nous recommandait de « mettre à distance la fascination-sidération-répulsion pour la violence », défendant l’idée selon laquelle la « violence » est une catégorie morale dont l’utilisation produit des analyses triviales. En parallèle, il prônait une distanciation par rapport aux récupérations politiques et aux analyses des profils des manifestant·e·s en terme d’appartenance aux partis politiques, menant selon lui à une délégitimation quasi-systématique du mouvement. L’homogénéité des profils des « commentateurs du débat public – élus, journalistes de plateaux, chroniqueurs, « experts » invités » est aussi soulignée par le chercheur.

En somme, Mucchielli met en lumière la nécessité de voir d’un œil critique notre tendance à définir, commenter, contredire, catégoriser tout phénomène politique d’ampleur bien trop rapidement. De cette couverture, il semble possible de conclure que la façon dont les grands médias couvrent l’actualité militante internationale empêche l’entente entre des groupes dominés dont les situations se font écho, ou encore la compréhension d’une lutte générale contre des intérêts économiques et politiques assez similaires. Traçant des traits trop grossiers, la presse nationale traditionnelle tue dans l’œuf les possibles reprises et convergences des luttes.


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