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Le devenir de la culture québécoise n’appartient qu’à ses chantres

Courtoisie d'Alex Tran

Alors que depuis l’élection du premier gouvernement de la Coalition avenir Québec, une part significative de la population québécoise se réjouit des politiques nationalistes mises de l’avant par le gouvernement Legault, il serait peut-être de bon ton de rappeler de quoi elles sont véritablement le nom. Les motifs cachés derrière ces politiques se révèlent être de sombres desseins. 

L’élection de la CAQ marque très certainement un tournant dans l’histoire moderne du Québec. Depuis l’échec référendaire de 1995 et la fameuse et tristement célèbre déclaration de l’ancien premier ministre Jacques Parizeau, la manière qu’a le Québec de faire référence à son caractère distinct et son destin historique n’est pas pour rendre grâce à la ferveur amoureuse d’un Pierre Bourgault. Pour autant, par-delà bien et mal, voilà un gouvernement qui – pour des raisons et par des manières délétères – cherche à réorchestrer l’amour des Québécois·e·s pour ce qu’ils purent être historiquement. Par la force des choses, nous constatons que cet « amour » se construit sur la peur du migrant et de l’étrangeté, sur un imaginaire à même de dessiner des fresques historiques et funestes que l’Histoire ne connaît que trop bien. Tout ce programme prend place au sein d’un peuple qui s’est laissé aller aux ravages du temps, à la paresse. Ne cherchons pas plus loin : l’angoisse qui ronge le Québec a beau se dérober et se voiler sous des peurs – des prétextes –, mais elle demeure la simple atonie d’un peuple qui ne sait plus s’aimer et n’a de confiance qu’en rien. 

L’honorable « Maîtres chez-nous », la loi 101, les référendums et la Charte des valeurs québécoises et compagnie ont confisqué la volition de notre autodétermination culturelle ; nous ne nous donnons plus notre propre destin. Une souveraineté politique et économique n’est bonne que si elle se construit sur une culture siégeant par-delà les plus hautes cimes, fière d’elle-même. Les solutions techniques ne sauront résoudre les problèmes liés à la vitalité d’une culture minoritaire, car dans le péril qui sera éternellement le sien elle dépend à chaque instant de la seule ferveur de ceux et celles qui veulent la créer et l’aimer. Confessons-le : loi 101 n’a jamais assuré la richesse et l’effervescence du fait français au Québec ; elle en a simplement couronné l’usage dont seules les royales statistiques peuvent dorénavant saluer l’exsangue chair. Quel sera l’heureux dénouement de cette situation ? 

Se revendiquer Québécois·e francophone en 2019 s’expérimente comme la confession d’un vertige historique tant le magistral élan culturel du tournant du milieu du XXe siècle s’est périclité – bienheureux qu’il était de confondre son « Maître chez-nous » avec l’ennoblissement sans cesse à reconduire d’une culture. Aucune énergie considérable n’est réquisitionnée afin de lutter contre la perverse américanisation et néantisation de tout ce dont notre culture se réservait à son juste orgueil. Ce ne sont que les communautés, par leur existence, qui rendent possible la bonne mission des solutions techniques et non l’inverse. Tous les projets qui ont découlé de la Charte des valeurs québécoises ne sont que les plates méprises des réels enjeux culturels auxquels le Québec francophone fait face. En France, l’Académie française n’a existé historiquement que par les littéraires qui en seront éternellement les conditions de possibilité. Au demeurant, des décennies ont oblitéré notre fougue, et l’ivresse de nos soirées victorieuses a cédé tranquillement le pas au flétrissement sans cesse reconduit de nos arts nationaux. Nous ne connaissons plus aujourd’hui le pourpre d’une grande et belle culture. Gilles Vigneault se faisait dernièrement assiéger pour son nationalisme universaliste qui n’est pas si éloigné de celui d’un Herder, comme nous le rappelle notre entrevue avec Charles Taylor ; quelle révérence pour ce fondateur d’un peuple de naufragés ? Dès la minute où cet appel sera entendu que nous ne pleurerons plus l’ancien monde effondré – comme des créateurs dans la lignée de Bernard Émond peuvent aujourd’hui le faire – et que nous nous évertuerons gaiement avec nos créateurs·rices à reconduire chacune des pierres d’une nouvelle maison, seulement alors pourrons-nous exister en tant que communauté comme ce fut brièvement autrefois le cas. Il ne s’agit donc plus d’idolâtrer l’antan mais plutôt est-il de notre sacerdoce de construire nos lendemains. L’étranger n’est qu’à la distance de la main que nous voulons bien lui tendre, fier de qui nous voudrons être. 


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