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« J’ai envie de nommer ma vérité »

Le Délit rencontre l’auteur québécois Simon Boulerice.

Alex Paillon

Simon Boulerice est un auteur pour le moins prolifique, écrivant autant du théâtre que des romans. Bien que ses œuvres s’adressent majoritairement à un public jeunesse, il sait adapter sa plume à un lectorat plus âgé et compte à son actif quelques écrits grand public.  Il est aussi collaborateur à l’émission culturelle Cette année-là et se déplace beaucoup dans les écoles pour des conférences. Je l’ai tout d’abord rencontré au Salon du livre de Montréal lors d’une séance de signatures. Il a accepté avec plaisir de faire une place dans son horaire chargé pour une entrevue avec Le Délit. C’est dans le confort de sa cuisine, entouré de ses murs de livres, qu’il répond à mes questions.

Mes études en théâtre m’ont permis de libérer ma langue. 

Le Délit (LD) : Quelle était ta relation avec l’écriture dans ta jeunesse ?

Simon Boulerice (SB) : Je viens d’une petite ville qui s’appelle Saint-Rémi et on avait des livres à la maison, mais pas tant que ça. Nous, on avait des films. Mes parents avaient un club vidéo, donc la fiction est entrée chez moi beaucoup par le cinéma, c’étaient des VHS à l’époque. J’ai de l’attachement pour les VHS. J’aime la lourdeur et la légèreté de la cassette. Il y avait des livres aussi un peu, mais les livres m’intimidaient. J’ai toujours trouvé ça rassurant d’avoir des livres dans une maison, mais plus jeune, je ne les lisais pas. Je me disais : « Quand je vais être prêt. » Je trouvais ça trop dense, je trouvais qu’il y avait beaucoup de mots, je n’étais pas porté à les lire. Ma genèse, c’est quand ma prof m’a dit que j‘écrivais bien, mais elle ne parlait que de ma calligraphie (rires, ndlr). Moi, j’ai pensé que mes phrases étaient belles, donc c’est un malentendu qui m’a donné envie d’écrire et de lire, surtout. Le soir-même, en rentrant, je me suis dit : « Bin là, si je suis un écrivain, faut que je lise ! » J’ai commencé à lire en quatrième année. Avant, je lisais par obligation, mais là j’ai commencé à lire par plaisir. J’ai commencé à lire des Archie, des romans Frissons, des livres des éditions de La courte échelle. De fil en aiguille, je me suis bonifié en tant qu’écrivain de quatrième année en lisant beaucoup, suffisamment pour que Marie-Andrée, ma professeure, me dise : « Simon, maintenant, tes phrases sont aussi belles que la façon dont tu les traces. » 

Je suis quand même l’exemple parfait de quelqu’un qui part de zéro et qui se battit une passion à partir de presque rien, mais qui, parce qu’il s’est senti valorisé par une professeure, finit par gonfler en confiance et s’armer pour devenir un lecteur. Ce n’est pas donné à tout le monde et je n’avais pas d’impulsion d’ouvrir de livres. Ça a été par volonté de rendre justice au talent d’écriture que je n’avais même pas pourtant (rires, ndlr). C’est la preuve que la lecture, ça bonifie à tous les niveaux, pas que pour écrire. Ça remplit tout, notamment la solitude. Donc ça a commencé comme ça. Depuis ma 4e année, j’accumule les livres. Je ne pourrais pas trainer dans une pièce sans livre. Je me sens comme blindé quand ils sont là. Je me rappelle à 17 ans, j’ai acheté ma première bibliothèque chez IKEA. J’ai commencé tout petit, mais ces livres-là je les ai encore. Je suis collectionneur de rien, sauf de livres. Je me débarrasse de presque tout, sauf de mes livres. 

LD : Quelles ont été tes plus grandes influences littéraires et théâtrales, et pourquoi ?

SB : J’ai lu beaucoup d’œuvres que j’ai aimées. J’ai grandi avec les romans de Dominique Demers, comme Les grands sapins ne meurent pas, ou encore La lumière blanche d’Anique Poitras et Comme une peau de chagrin de Sonia Sarfati. Il y en a un que je me suis racheté parce que je l’avais perdu, ça s’appelle La vie au max de Suzanne Julien. Ce n’est peut-être pas un grand livre, je ne sais pas, je ne l’ai pas relu, je ne veux pas le relire. Je ne veux pas salir le souvenir. Je sais ce que ça m’a fait de lire ce livre-là, à un moment où je devais le lire. J’ai dû lire ça quand j’avais 10 ans. Je n’étais pas un grand juge, mais c’est la première fois qu’un livre me touchait que je lisais un livre qui me remuait autant. Ça parlait de la pauvreté. C’est une histoire un peu triste, un peu dure. Maxime, qui prend soin de sa petite sœur, ne voit pas bien au tableau et a besoin de lunettes,  Il a une amie dans sa classe qui lui dit de faire une loupe avec ses doigts. Je me rappelle l’avoir essayé et ça marche ! Je me rappelle m’être dit : « Ayoye j’apprends en lisant, même si c’est de la fiction ! » Donc c’est peut-être le livre le plus marquant que j’ai lu plus jeune. Bon, après il y en a eu plusieurs. Je pense que j’ai une qualité, bon, j’ai bien des défauts, mais j’ai la qualité de la curiosité. Quand on me parle de quelque chose que je ne connais pas, je n’ai pas de problème à avouer mon inculture dans la vie. Quand on me parlait d’un auteur que je ne connaissais pas, comme Kundera, je prenais le métro jusqu’au Plateau, je cherchais ses livres, je les achetais et je les lisais. Donc j’ai vraiment fait mon éducation littéraire par mes amis, mes profs et aussi par moi-même, vu que j’avais l’élan pour aller la compléter. 

Il y a aussi Violette Leduc. J’ai aimé son impudeur. Ça a été une forme d’éducation pour moi, de me dire : « On peut aller aussi loin ? On peut dire des choses laides ? » Et ça a influencé ma littérature. Je n’aurais pas écrit mon premier roman (Les Jérémiades en 2009, ndlr) si je n’avais pas lu Violette Leduc. Elle m’a donné la permission, elle a légitimé mon impudeur. Moi qui aimais beaucoup Gabrielle Roy, qui est beaucoup dans la pudeur, j’ai fini par prendre le parti de Violette Leduc. Je me suis dit que je ne voulais pas être dans la rétention. J’ai envie de révéler le laid. J’ai peut-être une forme de pudeur dans mon écriture, parce que j’aime les ellipses. Je n’aime pas combler les trous. C’est le plaisir du lecteur. On ne sait pas combien de temps il y a entre les chapitres. J’ai envie de juste donner les détails importants de la vie de mes personnages, ou de ma vie, parce que des fois c’est mon double. C’est épart, parcellaire. Quand c’est vrai, ben c’est ça. J’ai envie de nommer ma vérité, ce que je connais, et que ce soit troublant, choquant. Mais je ne cherche pas à choquer, jamais. Je ne suis pas dans cette démarche-là, juste dans l’honnêteté.

Robert Etcheverry

Sinon, au théâtre, il y a une pièce qui a été un déclic, pour moi.  C’est Je suis une mouette (non ce n’est pas ça). C’est inspiré de La Mouette de Tchekhov, que je n’ai même pas lue. Il y avait une tirade sur la fille laide. C’était tellement beau. Elle parlait d’elle. Ce que j’ai aimé, encore une fois, c’est l’authenticité. Il y avait des moments où les comédien·ne·s faisaient des parallèles avec leur propre vie. La comédienne révélait qu’elle avait surpris, enfant, ses parents dire d’elle qu’elle n’était pas très belle. Et plutôt que d’être blessée, elle s’est dit : « OK. Je peux être pas belle, mais je peux être ben ben wise. » Le rapport à la beauté versus la pertinence, l’intelligence, la ferveur, ça me parle beaucoup. Je ne me considère pas laid, mais quand j’ai entendu ça, même si je n’ai pas vécu d’événement comme ça, je me suis approprié ces mots, je les conçois bien. C’est la force du théâtre, de la littérature, de faire « je me l’approprie ». Ça m’a donné envie de jouer, envie d’écrire aussi.

LD : Est-ce qu’il y a un moment dans ta vie où l’écriture a vraiment pris le dessus, que tu as décidé de faire ça de ta vie ?

SB : J’ai fait deux ans au cégep, et ensuite je suis allé à l’UQAM en études littéraires et dramaturgie. C’est après que je suis rentré en interprétation théâtrale au cégep de Sainte-Thérèse. J’avais passé des auditions, le programme est 4 ans et est très contingenté. J’ai fait ma formation au complet. Avant de retourner au cégep, j’étais très intimidé par les auteurs plus grands que nature, donc je n’étais pas convaincu que j’allais écrire. Je me sentais trop petit, trop imposteur. C’est un sentiment qui est tout à fait normal, je pense que c’est bien qu’on passe par là, même que c’est inquiétant si on ne passe pas par là (rires, ndlr). T’sais de sentir le poids de tout ce qui a été écrit avant soi, c’est colossal. Il y a des auteurs qui seront toujours plus brillants, mais je suis tombé sur une phrase de Gilles Vigneault : « Tout a été dit, sauf par moi. » Je la trouve très rassurante. Elle donne le droit à tout le monde d’écrire. Donc je me suis dit, bon, je vais parler de l’amour, avec mes mots à moi, mon bagage, mon regard à l’oblique sur le monde. C’est important ça, comment tu poses ton regard sur le monde. Ce qui fait en sorte qu’un frère et une sœur qui racontent le même événement n’ont pas le même point de vue. Le meilleur exemple que je peux te donner c’est deux films qui ont été faits la même année par deux scénaristes frère et sœur, qui ont raconté la même enfance, mais c’était complètement différent. Je trouve ça fabuleux. On n’a pas à les comparer et dire lequel est le meilleur, je ne pense pas que c’est ça la beauté de l’art. Bon, on peut certainement faire une étude comparative et c’est intéressant, mais je trouve ça chouette que les deux œuvres puissent cohabiter. Tout ça pour dire que je trouve que l’angle est important. Mon déclic s’est donc fait avec cette phrase-là. 

Mes études en théâtre m’ont permis de libérer ma langue. Je sentais moins la rigidité des cours de littérature, où je me sentais intimidé. Au théâtre, je me suis dit : « Hey, de la marde ! » Et je me suis comme lâché lousse. Aussi, un auteur parmi plein d’auteurs… On est entourés de plein de gens qui veulent écrire. Alors que là, un auteur parmi des comédiens, je me sentais unique dans mon envie d’écrire. J’ai toujours dit que le fait d’avoir étudié pour être comédien me sert dans tout ce que je fais. Mes années en théâtre m’ont déloussé, je suis à l’aise en entrevue. Écoute, quand j’étais jeune, je vomissais avant un exposé oral. J’étais tellement stressé, ça me bouleversait de prendre la parole devant les gens. Je suis passé à l’école de théâtre du plus stressé au plus relax. Ça a été un cheminement, t’sais. Et cet espèce d’abandon que j’ai avant de prendre la parole est resté. J’ai désacralisé le théâtre. Je ne joue pas ma vie, si je me trompe, personne ne va mourir, je ne suis pas chirurgien. Je ne veux pas banaliser, là, mais je pense qu’il faut avoir de l’humilité.

LD : Pourquoi la littérature jeunesse ?

Le pouvoir de se déposer dans la mémoire d’un enfant, de les marquer, c’est un privilège, c’est exceptionnel.

SB : À l’école de théâtre, j’écrivais surtout des pièces de théâtre et des recueils de poésie, et ça, c’était pour adulte. Mais dans tout ce que j’écris, l’adulte a beaucoup de juvénilité. J’embrassais beaucoup ma jeunesse et mon enfance. Souvent, même, les personnages sont des enfants dans mes livres pour adultes. Mon premier roman, Les Jérémiades, c’est un adulte qui raconte son histoire quand il était enfant, donc c’est le point de vue d’un enfant. Et ça va loin. C’est une histoire de cruauté amoureuse, de tragédie amoureuse, même. Donc ce n’est vraiment pas pour enfant, mais le narrateur a neuf ans la majorité du récit. L’enfance a toujours eu une place de choix. 

Ma première pièce de théâtre, ce sont trois enfants de 12 ans sur scène, mais c’est une pièce pour adultes. Simon a toujours aimé danser était pour adultes aussi, mais ça a bien pogné chez les ados. Les enfants, c’est un public qui me faisait peur, parce que je savais qu’il y aurait des rencontres avec eux après. Et ça a été fabuleux. Ne sachant pas comment leur parler, je leur ai parlé comme je te parle à toi, comme à tout le monde, avec ma spontanéité, qui, je me rends compte, est souvent payante. Je n’ai pas toujours été de cet avis-là, mais maintenant je le pense. Et donc c’est en jouant pour eux que je les ai trouvés vifs d’esprit. Le pouvoir de se déposer dans la mémoire d’un enfant, de les marquer, c’est un privilège, c’est exceptionnel. J’en croise parfois, des jeunes de 17 ou 18 ans, qui me disent : « Le premier roman que j’ai adoré, c’est le tien. » Pour vrai, ça me fait un beau velours. De me dire que le feeling que j’ai eu avec Suzanne Julien, quelqu’un l’a eu avec moi, c’est vraiment un privilège. Moi, n’ayant pas d’enfant, la transmission s’effectue beaucoup par mon travail littéraire. Et de me dire que, à petite échelle, dans certains cas, des gens vont grandir en ayant la référence de mes œuvres, telles que Edgar Paillette, Des monstres en dessous, Les mains dans la Gravel, ou Un verger dans le ventre, je trouve ça fabuleux.

Je vais m’atteler avec la même ferveur à un album pour petits, à un roman pour ados ou à un recueil de poésie pour adultes.

En même temps, je ne veux pas arrêter d’écrire pour les adultes parce que j’aime ça m’adresser à eux. Je pense que j’aime ça m’adresser à tout le monde (rires, ndlr). Je vais m’atteler avec la même ferveur à un album pour petits, à un roman pour ados ou à un recueil de poésie pour adultes. Pour moi, c’est le même travail. La job c’est d’être sincère partout et de m’amuser.

Je suis à l’aise avec tout ce que j’ai publié, je n’ai pas honte de rien.

LD : Comment en es-tu arrivé à cette relation de mentorat avec Michel Tremblay ?

SB : Je ne pourrais pas dire que c’est du mentorat, bon, on a une relation, ça c’est clair. Mon histoire avec Michel est de plein de façons. La première fois que je l’ai vu, j’avais 16 ans je pense, c’était pour une émission de télé. C’était un spécial au Salon du livre et moi j’étais lecteur rémunéré pour La courte échelle. Je recevais les manuscrits et tapuscrits par la poste. Je lisais le roman, puis je devais remplir un questionnaire à l’écrit. Je postais ma réponse et je recevais 25 dollars. Pour moi, c’était vraiment cool. Je me sentais privilégié. Tu vois, ça c’est un mot qui revient beaucoup et ça montre que je suis vraiment reconnaissant. J’aimais ça lire et donner mon avis, je fais encore beaucoup ça aujourd’hui, c’est devenu ma job (rires, ndlr). Donc je suis allé à l’émission et on m’a annoncé sur place que finalement j’étais jumelé avec Michel Tremblay. T’sais, moi je commençais à lire du Tremblay, comme Les Belles-Sœurs et La grosse femme d’à côté est enceinte. Donc je commençais à connaître ça, cet univers, l’œuvre. J’étais ainsi à côté de lui et il avait été très gentil. Je lui avais dit que je voulais publier et il m’avait dit : « Prends ton temps. » Je le trouvais pas « mononcle », mais je me suis dit « de quoi il se mêle lui », mais mon dieu qu’il avait raison. Mais à ce moment-là, à 16 ans, je voulais juste publier. Je suis tellement content d’avoir attendu. Je ne sais pas si je voulais attendre ou si j’ai dû attendre, mais j’ai publié vers 26 ans et quand je l’ai fait, j’étais prêt. Je relis mon premier roman, et bon, il y a certainement des maladresses, mais je ne renie rien. Je suis à l’aise avec tout ce que j’ai publié, je n’ai pas honte de rien. 

Après, quand j’ai publié mon premier roman aux éditions Sémaphore, mon éditrice a croisé Michel dans le corridor du Salon du livre et elle lui avait donné une copie en disant « lisez ça ». Il l’a lu et m’a écrit un message magnifique, un courriel.

Et c’est à partir de là qu’on a commencé à correspondre. Ensuite, il s’est inscrit sur Facebook et notre relation a continué, mais toujours virtuellement. Un jour, il m’a demandé de lire le tapuscrit de son prochain roman. Maintenant, ça fait des années qu’il me demande ça. Je pense qu’il m’estime beaucoup, d’une part en tant qu’écrivain, je pense que c’est évident, mais en tant que lecteur aussi et ça, ça me fait plaisir. Il me dit souvent que je suis un lecteur exigeant. Il sait que je vais être honnête dans mes commentaires. T’sais, dans un tapuscrit, il n’y a pas eu de travail éditorial encore, donc il y a souvent des incohérences, tout le monde en fait. Donc je les lui relève. Je lui souligne aussi les bons coups ! Je pense qu’il apprécie que je sois capable de lui dire vraiment ce que j’en pense. C’est une relation de confiance. Moi, je ne pourrais jamais faire ça, alors que lui, il a au moins dix lecteurs. Kim Thuy fait ça aussi, mais moi ce n’est pas dans ma nature. J’ai tendance à vouloir faire plaisir dans la vie et c’est la pire chose, pour moi, d’accueillir tous les commentaires et de les appliquer. J’ai l’impression que ça me tirerait vers le bas. J’écoute évidemment les conseils de mes directeur.rice.s littéraires. Bref, j’aime cette étape avec Michel. Il se trouve que je l’ai beaucoup interviewé dans des événements, dans des librairies. Ensuite, il m’a invité à manger !

Je sais que tout le monde trouve que j’écris beaucoup, mais mon temps de création s’amenuise à mesure où je suis demandé.

Et là, je viens tout juste de rentrer à la même agence que lui, c’est lui qui m’a convaincu. Il a un côté papa, mais il n’est pas paternaliste du tout. Donc par rapport à ça, oui il y a une forme de mentorat, c’est-à-dire qu’il est rassurant. J’ai mon amie Kim Thuy aussi. J’étais avec elle cette semaine et elle me donnait des conseils bienveillants. Et j’espère que c’est la même chose pour Michel. En me faisant signer avec un agent, je sens qu’il veut m’aider à économiser du temps. Je perds beaucoup de temps d’écriture en gérant mes propres affaires. Je sais que tout le monde trouve que j’écris beaucoup, mais mon temps de création s’amenuise à mesure où je suis demandé. C’est le fun, mais le temps d’écriture diminue !

LD : D’où viennent tes idées de base pour tes romans, que je trouve personnellement toutes si originales et nécessaires à aborder ?

SB : Ça vient justement des fois d’une prise de conscience qu’on ne parle pas de ça. Mais surtout, c’est parce que j’ai envie d’en parler. Tant mieux si ça fait qu’il y aura une œuvre qui parlera de ça maintenant. Je pense notamment à une de mes œuvres pour enfants Les monstres en dessous qui parle d’énurésie (faire pipi au lit). C’est un phénomène qui touche énormément d’enfants. C’est pas un sujet séduisant, t’sais. Comme thématique, tu te dis : « Mais non, tu peux pas parler de ça ! » Moi je l’ai vécu ce problème-là, je sais c’est quoi l’humiliation que ça représente, de mouiller son lit alors que tu es supposé être propre. Qu’on ait 10 ou 75 ans, on veut garder la dignité. Donc, c’est un sujet que je voulais aborder. Tu as dit le mot nécessaire et c’est exactement ça. Je trouvais ça nécessaire d’avoir un roman qui traite de ça, d’en faire de la littérature. Ce n’est pas juste de traiter un sujet tabou, c’est bien plus complexe que ça. Je veux créer une œuvre. Je ne veux pas parler de quelque chose juste parce que ça n’a pas été abordé avant. Mais tant mieux si ça adonne comme ça, on dirait que ça ajoute à la mission.  Je me dis, tant mieux si mon livre peut faire une fiction qui servira de référence à un enfant qui pourra y trouver une forme de sérénité dans le désastre qu’est de souiller son lit tous les matins. Tu vois, j’ai parlé de ça justement à des enfants de cinquième année ce matin. Il y en a plein qui ont un malaise quand je parle de ça. Mais quand je dis que moi je l’ai fait, parce que je rêvais que j’allais aux toilettes, tout le monde fait des « moi aussi ! ». C’est comme si tu donnais le droit aux enfants de le dire. Ça ne se dit pas dans la vie, que tu as souillé ton lit, mais quand quelqu’un comme moi, qui a l’air à l’aise, le dit, ça leur donne le droit. Et tant mieux si on en parle. Qu’on arrête de dire « ouf, ça c’est un sujet qui est glissant ». 

Par exemple, parler d’homoparentalité, c’est rare. On avait fait la pièce Tout ce que vous n’avez pas vu à la télé qui a très peu roulé, parce qu’une histoire d’amour, de parentalité, d’homoparentalité, ça rebutait les profs qui avaient peur des parents des élèves dans certains cas. Pourtant, je considère que c’est un de mes spectacles les plus aboutis, les plus bouleversants, j’étais très heureux de ça. Et j’ai fait : « Bon, je vais l’écrire en roman. » Ça a donné Le dernier qui sort éteint la lumière. Je pense que c’était une question à laquelle on n’était peut-être pas prêt, je ne sais pas. Mais le roman a un rayonnement très le fun. J’ai trouvé le filon pour raconter l’histoire d’amour, des lettres que les papas donnent à leurs enfants comme un calendrier de l’Avent pour leur anniversaire. On m’en parle beaucoup de ce roman-là, qui est très ludique, très serein, avecbeaucoup de tendresse.

Alex Paillon

Un autre exemple c’est l’anorexie masculine dans Jeanne Moreau a le sourire à l’envers. C’est un sujet que je connais de l’intérieur et j’avais envie d’aller là-dedans. Je ne voulais pas gratter le bobo, mais je voulais en parler. T’sais quand je parlais d’angle, je voulais justement déplacer ça sur un gars qui est super ouvert, qui est fin, qui a l’air de ne pas avoir de préjugé, mais qui pourtant en a, comme tout le monde. On a tous des préjugés inconscients. Il est ouvert, mais pourtant il ne voit pas la chose évidente : que son frère est anorexique. Dans sa tête, ça ne touche que les filles. Quand j’étais plus jeune, j’en avais parlé à une amie super brillante, mais elle m’avait dit : « Ben voyons Simon ça se peut pas, t’es un garçon. » Ça m’a marqué. T’sais quand on dit qu’un auteur écrit sur ses obsessions. Je me rappelle m’être dit : « Ben voyons qu’elle m’a dit ça, que je tente de m’ouvrir mais qu’elle diminue mon mal-être. » Surtout provenant d’elle. Je pensais que si quelqu’un pouvait comprendre, ce serait elle, mais non. Encore là, c’est l’angle qui m’intéresse.

Dans Je t’aime beaucoup cependant, je ne voulais pas raconter la disparition de Cédrika Provencher, je voulais raconter les répercussions dans la vie d’une jeune fille qui avait 9 ans quand c’est arrivé, qui était sa meilleure amie. On grandit avec la peur réelle que ça puisse arriver. On ne pense pas à ça, on pense d’abord aux parents, avec raison, mais l’amie de 9 ans… Le nom de ta meilleure amie devient mythique. Au Québec, le nom de Cédrika Provencher, c’est un nom qui est chargé, et ça a dérapé dans des blagues de très mauvais goût. C’est sûr que la vraie meilleure amie, elle a entendu ça. C’est tellement violent. Pour nous, ça devient presque un mythe, alors que quand toi tu l’as connue… Donc encore là, malgré la grande médiatisation de l’événement, c’est le regard que je trouve personnel et qui me plaisait.

LD : Est-ce que tu te considères comme un écrivain militant pour la cause LGBTQ+?

Je suis de plus en plus décomplexé, fier et armé et je crie beaucoup plus à l’injustice

SB : C’est drôle, tu m’aurais posé la question il y a quelques années, j’aurais dit non. Ça s’est fait de façon tout à fait inconsciente, presque organique, c’est-à-dire je n’ai pas forcé quoi que ce soit, j’ai juste pris parole par la fiction, en étant transparent. Je pense que c’est beaucoup par les conférences que j’ai réalisé le poids que ça avait de me pointer devant des jeunes, des ados aussi, d’arriver avec une transparence et de parler soit de mon amoureux, soit de mes questionnements, de l’intimidation que j’ai vécue. J’en parle ouvertement, je pense que c’est le fun d’avoir quelqu’un avec un parcours de vie réel devant toi qui te dit qu’il en a bavé lui aussi. Ce qui m’a sauvé, c’est que j’ai toujours été convaincu que les belles choses arriveraient. J’ai été un optimiste d’emblée dans la vie. Mais il y a plein de gens qui n’ont pas cette croyance, qui pourraient me ressembler, c’est-à-dire qu’ils ont des moments difficiles mais qui n’ont pas la conviction que les choses vont se régler. J’avais cette espèce de foi en l’avenir. Et les belles choses sont venues en effet. Je me considère fondamentalement épanoui dans la vie, je suis dans une grande sérénité. J’abrite toute cette enfance-là, toute croche et stigmatisée, à ma façon.

J’abrite toute cette enfance-là, toute croche et stigmatisée, à ma façon.

Donc, même si je ne suis pas du tout l’archétype du militant, je dirais que oui, je le suis, dans ma fiction et dans mon rapport direct en conférence. J’ai longtemps fantasmé à l’idée d’avoir des enfants, une famille, mais mon chum n’en veut pas et à mon âge, j’ai fini par accepter que je n’en aurai pas. Ma transmission s’effectue autrement. Je suis de plus en plus décomplexé, fier et armé et je crie beaucoup plus à l’injustice qu’avant, et pas que pour la question LGBTQ+, mais pour celle des femmes beaucoup. J’utilise aussi la tribune qu’on me donne. Par exemple, pendant ma chronique à Cette année-là, je me permets de parler de théâtre jeunesse et de littérature jeunesse, à la télé, un samedi soir. Ça ne se fait pas ça, normalement. Donc pour moi, ça c’est aussi du militantisme, de profiter de ces tribunes-là. 

LD : Pour assouvir ma curiosité, pourrais-tu nous dire si tu as un autre roman en route, un autre projet ?

SB : J’en ai toujours plein, des projets. J’écris beaucoup pour l’émission jeunesse Passe-Partout  en ce moment, alors les projets avancent tous pas vite. Quand je publie, j’ai une liberté. Je propose quand je suis prêt, je n’aime pas ça être attendu. Mais, dans le lot, il y en a un qui se concrétise. Il y a une pièce qui sera présentée cet été. Elle n’est pas finie encore, c’est une création, mais elle est avancée quand même. C’est une pièce que j’avais abandonnée parce que je ne savais plus comment la raconter. C’est inspiré d’un fait divers. C’est une maison qui est infestée de mérule pleureuse, un champignon qui s’attaque à la fondation de la maison. Cette famille-là avait dû brûler toute la maison et tout ce qu’elle contenait. C’est brûler des souvenirs, tout ce qui est en cellulose, comme les livres, les vêtements et les photographies. C’est presque tout. Je trouvais ça hyper théâtral quand j’ai vu ça dans les faits divers. Donc ma prémisse, c’est une famille qui entre par effraction dans sa propre maison barricadée, pour célébrer une dernière journée, pour commémorer sa vie dans cette maison-là. Moi, je pense que les maisons ont une âme. Cette pièce, je l’avais mise de côté parce qu’elle ne prenait pas la forme que je voulais, mais là je suis en train de la réinventer complètement. C’est une pièce de femmes, avec une grande tante, la mère et ses deux filles. C’est donc une pièce sur la fratrie, bon j’ai envie de dire la sororité (rires, ndlr). J’aime avoir un titre de travail, et donc j’avais entendu un vers et je m’étais dit que ma pièce s’appellerait comme ça : « Il n’y a plus d’amour. » Où l’amour ici, c’est la maison. Mais en fait il y en a de l’amour, c’est la famille.

Suggestions de  lecture :

1- Je suis une mouette (non ce n’est pas ça) (Serge Denoncourt d’après la pièce d’Anton Tchekhov)

2-Les Belles  Soeurs (Michel Tremblay)

3-Les Jérémiades (Simon Boulerice)

4-Jeanne Moreau a le sourire à l’envers (Simon Boulerice)

5- Danser a capella (Simon Boulerice)

6- Géolocaliser l’amour (Simon Boulerice)

7- Moi aussi j’aime les hommes (Simon Boulerice et Alain Labonté)

8- L’enfant mascara (Simon Boulerice)


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