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Une promesse caduque

Chaque semaine, Le Délit analyse un aspect de la politique québécoise.

François Legault a fait de la réduction des seuils d’immigration l’une de ses principales promesses de campagne. Il aurait pourtant dû savoir qu’une fois élu, la réalisation de cette promesse donnerait énormément de fil à retordre à son gouvernement. 

Scheer désavoue Legault

Jeudi dernier, le premier ministre a rencontré Andrew Scheer, chef du Parti conservateur du Canada,  pour discuter des objectifs du gouvernement de la CAQ en matière d’immigration. Toutefois, à l’issue de cette rencontre, le chef conservateur a annoncé du bout des lèvres qu’il ne soutiendrait pas la proposition de M. Legault de réduire le nombre d’immigrants autorisés par le gouvernement fédéral à s’établir au Québec. Tout au plus a‑t-il dit qu’il serait « ouvert » à accorder plus de pouvoirs au Québec en matière d’immigration.

Au Canada, l’immigration est en théorie une compétence fédérale, mais en vertu d’une entente de 1991, l’accord Gagnon-Tremblay-McDougall, le Québec exerce un contrôle sur l’accueil et la sélection de certains immigrants :  ceux dits « économiques », c’est-à-dire ceux qui s’installent ici sans autre motif que de venir travailler. Cela signifie que la plupart d’entre eux arrivent au Québec avec des diplômes et une bonne maîtrise du français. Toutefois, Ottawa garde le contrôle sur les immigrants issus de la réunification familiale et sur les réfugiés. En campagne, le chef caquiste a promis de réduire le nombre d’immigrants qui arrivent ici sans parler français. Or, s’il voulait réduire le nombre d’immigrants, ses présents pouvoirs ne lui permettraient que de réduire le nombre d’immigrants économiques : pour tenir sa promesse correctement, il a donc absolument besoin de l’appui d’un chef de parti fédéral. 

Pour le premier ministre, la déclaration du chef conservateur s’apparente à un désaveu, car même s’il se doutait qu’il n’obtiendrait rien du gouvernement libéral en place, il aurait pu espérer l’appui du parti conservateur, qui pourrait prendre le pouvoir aux prochaines élections fédérales.

L’électorat québécois

En effet, depuis son élection comme chef, Andrew Scheer a quelquefois essayé de séduire l’électorat nationaliste québécois, orphelin après la chute du Bloc québécois, en lui faisant miroiter plus d’autonomie. Il avait par exemple proposé de laisser le Québec percevoir lui-même l’impôt fédéral, option réclamée à l’unanimité par les partis représentés à l’Assemblée nationale, mais exclue par le gouvernement Trudeau.  Il avait aussi annoncé qu’il mettrait fin à l’entente des tiers pays sûrs, qui facilite l’entrée illégale des immigrants en provenance des États-Unis et qui dissuade plusieurs d’entre eux de passer par le processus légal pour entrer au pays. Les trois partis d’opposition, dont la CAQ, avaient souligné qu’à cause de cette entente, le Québec recevait beaucoup plus d’immigrants, mais que le gouvernement fédéral ne l’aidait pas à absorber les coûts de leur intégration. Grâce à cette prise de position, les conservateurs avaient pu recruter plusieurs anciennes personnalités souverainistes, dont Michel Gauthier, un ancien chef du Bloc  Québécois.

Il n’aurait donc pas été surprenant qu’Andrew Scheer accède aux demandes de François Legault, d’autant plus que les deux hommes s’adressent au même électorat. Les circonscriptions du Lac-Saint-Jean, de Québec et de la Beauce, les régions où les conservateurs détiennent des sièges en ce moment, ont voté avec une écrasante majorité pour la CAQ. Idem pour la couronne nord de Montréal, qui contient les derniers bastions bloquistes convoités par les conservateurs. Sheer a pourtant préféré passer son tour. En fait, celui qui risque le plus de bénéficier de la prise de position de Scheer est Maxime Bernier, le chef du nouveau Parti populaire du Canada, qui a pris fermement position en faveur d’une réduction de l’immigration. Andrew Scheer a beaucoup à perdre : si le Parti populaire est « populaire » aux élections de 2019, les conservateurs vont devoir composer avec la division des votes dans leurs circonscriptions québécoises.

D’ici là, François Legault n’a aucun moyen à sa disposition pour réaliser ses promesses sur l’immigration. Cela ne devrait pas trop lui poser de problèmes : il pourra toujours blâmer le gouvernement fédéral pour se justifier. 


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