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Varela ou lorsqu’on est proprement vivant

La pensée du neurophilosophe nous permet de revoir la vie pleine de sens.

Hugo Gentil

« Fancisco Varela a vécu sa pensée, et pensé sa vie. » Varela (1946–2001), neurobiologiste et philosophe chilien, est l’un des merveilleux exemples de la riche pensée pouvant découler de l’abolition de ce qu’on pourrait nommer la pseudo dichotomie science-philosophie. En effet, pour Varela, les deux modes de pensée s’influencent dans le but de comprendre ce qui caractérise le proprement vivant (lui-même se décrivant comme un « biologiste de l’esprit »). Cette caractérisation, mise en relation avec la phénoménologie et le bouddhisme, s’articule en ce sens comme la peinture d’un portrait magnifique du sens intrinsèque de la vie et se présente, à mon sens, comme un puissant anti-nihilisme. 

L’autopoïèse

L’un des concepts clefs de la pensée de Varela est l’autopoïèse, qui pourrait grossièrement se décrire comme étant le principe auto-organisationnel régissant une unité autonome et proprement distincte de son environnement. Le meilleur exemple étant une cellule (au sens biologique du terme) se distinguant de son milieu. Malgré sa formation en neurobiologie, Varela tente ici de s’éloigner du réductionnisme physico-chimique que critiquait Henri Bergson dans La pensée et le mouvant, ce réductionnisme qui échoue à comprendre « ce qui est proprement vital dans le vivant ». L’autopoïèse permet ainsi de désenclaver la notion de « sens » pour en faire le principe fondateur du vivant et même les formes de vie plus primitive comme les bactéries peuvent alors « accorder un sens à la vie » dans la mesure où elles seraient capables de s’organiser en interaction avec leur environnement dans une manière non aléatoire. 

Fortement influencé par la phénoménologie d’Edmund Husserl et par le bouddhisme, Varela tente ainsi de réformer les neurosciences et les sciences cognitives dans le but de les réaxer sur l’expérience vitale et offrir une approche foncièrement différente dans la compréhension de la nature de la conscience. Pour le Chilien, « l’analyse du fond de l’expérience n’est pas, en soi, située 

en dehors du fait d’en faire                          

l’expérience », ce qui revient un peu à dire que les grands discours et constructions langagières alambiquées sur l’expérience n’équivaudront jamais une méditation sincère sur celle-ci. Varela rejoint alors le concept bouddhiste du Śūnyatā, terme difficilement traduisible désignant à la fois la vacuité et la plénitude de l’être.

Accorder un sens à la vie

L’éthique du vivant 

L’intérêt de la pensée éclectique de Francisco Varela réside dans son approche de la question du sens de la vie — nonobstant le vernis de cliché entourant la version contemporaine de cette problématique. En effet, la méthode présentée par Varela relève d’une motivation salutaire (comme celle du Bouddha) visant à répondre à « l’instabilité de la condition humaine, de son caractère insatisfaisant, que ce soit à un niveau matériel grossier (la pauvreté, la maladie, la guerre) ou encore à un niveau existentiel (Unheimlichkeit [ou l’inquiétante étrangeté], angoisse, désorientation). 

Varela a lui-même connu sa dose de grossière insatisfaction matérielle, ayant été aspiré malgré lui dans la guerre civile chilienne suivant le coût d’État d’Augusto Pinochet de 1973. Cet épisode dramatique de sa vie lui a apporté la ferme conviction que « l’épistémologie façonne le monde dans lequel nous vivons et les valeurs humaines qui sont les nôtres ». Les concepts d’autopoïèse et de Śūnyatā prennent ici leur pertinence, visant tous les deux à circonscrire de manière plus fine et adéquate le vivant et, de ce fait, l’expérience humaine. Ainsi, peut-être arriverons-nous à revoir véritablement la vie pleine de sens.

Suggestions de lecture : 

Le cercle créateur (F. Varela)

La pensée et le mouvant (H. Bergson)


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