Aller au contenu

Peut-on tuer par compassion ?

Critique croisée de l’adaptation théâtrale du texte Des souris et des hommes.

Théâtre Jean Duceppe

Des souris et des hommes, adaptée du classique roman éponyme de Steinbeck, raconte avec force la difficulté de l’amitié véritable et la tragédie de l’existence. Narrant le récit de Lennie, géant simple d’esprit (interprété par Guillaume Cyr), et de Georges (interprété par Benoît McGinnis), compagnon de route et protecteur. 

Guillaume Cyr renversant

La pièce est portée en grande partie par la performance de Guillaume Cyr, renversant dans son rôle. Cyr réussit en effet à rendre crédible un personnage atteint d’une déficience intellectuelle sans pour autant le rendre caricatural. On s’attache réellement au gentil géant qu’est Lennie, lui qui n’a rien demandé à personne, encore moins sa force extraordinaire.

Le duo McGinnis-Cyr s’échange la réplique de manière assurée. On sent l’affection que Georges porte pour Lennie sans que le premier ait besoin de l’expliciter à outrance. La scène finale a véritablement coupé le souffle de l’assistance, restant muette quelques secondes afin de saisir l’ampleur tragique du dénouement du classique de Steinbeck. Sans être exceptionnelle, la performance des acteurs secondaires est juste et ne jette pas d’ombre sur le jeu des acteurs principaux. 

Adaptation efficace

Classique de la littérature américaine, le texte de Steinbeck a été traduit par Jean-Philippe Lehoux. La traduction se veut contemporaine et rend efficacement un parler naturel qui aurait pu être alourdi par un français trop rigoureux. Le décor (Romain Fabre), constitué de multiples pièces de bois mobiles, représente adéquatement la ferme où se déroulent les événements dans le roman. Le mobilier, sobre, rappelle la pauvreté de la Californie des années 1920.  Globalement, l’adaptation du théâtre Jean Duceppe de Des souris et des hommes dresse un portrait poignant de la force des relations humaines.

Antoine Milette-Gagnon, Éditeur Actualités


La pièce Des souris et des hommes présentée au théâtre Jean-Duceppe procède d’un mythe dont notre modernité ne saurait faire l’économie. Le rêve, la compassion et la misère s’y succèdent dans un rythme trop familier. Alors que le roman de John Steinbeck nous rappelle toujours que nous n’avons pas échappé à certaines choses, que penser de la toute dernière adaptation théâtrale québécoise ?

La prestation de Lennie (Guillaume Cyr) est un tour de force du point de vue du jeu. Toute l’intelligence théâtrale de l’acteur procède d’une conjointe phalange qui sait admirablement donner vie à un personnage qui avait été pourtant efficacement posé sous la plume de Steinbeck. Ma grand-mère — avec qui j’ai assisté à la pièce — avait été dument marquée par l’interprétation de Pierre Lebeau en 1999 où il y incarnait Lennie. Celle de Guillaume Cyr l’a encore davantage conquise.

S’il peut être plus ou moins rare d’adapter avec succès un roman au théâtre, la mise en scène de Vincent-Guillaume Otis rappelle excellemment l’oppressante atmosphère du roman de Steinbeck. Nous y sentons la misère, l’horizon éteint, l’insatiable rêverie à laquelle on ne peut se refuser faute d’un monde où l’on veuille vivre. Si le souvenir de la précédente mouture québécoise de l’œuvre s’entendait aux murmures des spectateurs, la présente nourrira des mêmes mots les prochaines, voire frappera encore davantage les consciences.

La pièce prend toute sa mesure dans sa chute. Grandiose coup de tonnerre dans le cœur des membres du public, George achève le drame par un meurtre qui laisse mythiquement transparaître la compassion ; George abat Lennie et les ombres gagnent la scène. Impitoyable. C’était d’ailleurs là le génie de Steinbeck : ériger une représentation mythique toute singulière. Les spectateurs resteront marqués par cette troublante question : « Peut-on tuer par compassion ? »

Simon Tardif, Éditeur Philosophie


Articles en lien