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Le son peut-il changer le monde ?

Apprenons à écouter activement nos environs.

Clément Veysset | Le Délit

Que peuvent nous apprendre les sons ? Arrêtez-vous un instant, et portez attention à l’atmosphère sonore autour de vous. Qu’entendez-vous ? Quels sons avez-vous l’habitude d’effacer de votre attention ? Un grésillement de frigo ? Les moteurs de voitures ? Un tic tac d’horloge ?

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L’acoustémologie, terme joignant « acoustique » et « épistémologie », est une théorie visant à analyser les savoirs produits par les sons et par l’écoute active, développée par l’ethnomusicologue Steven Feld en 1992. Cette approche épistémologique s’intéresse à la connaissance et au savoir en tant que produits relationnels et contextualisés, et non pas en tant qu’entités inertes existant hors des cadres spatio-temporels et sensoriels. L’acoustémologie propose donc une vision du monde dans laquelle êtres, matières et technologies se forment à travers les interactions qu’il·elle·s ont les unes avec les autres, notamment à travers l’écoute et les sons.

Revenons à notre question de départ ; que peuvent nous apprendre les sons ? Tentons l’expérience. Si vous avez un appareil pouvant enregistrer des sons à votre disposition, sortez-le et lancez l’enregistreur pendant une minute. Ensuite, écoutez le produit final. Y a‑t-il des sons ambiants que vous n’aviez pas remarqués durant l’enregistrement, mais que vous entendez maintenant que vous réécoutez ce que votre microphone a capté ? Ou encore, y a‑t-il des sons qui vous semblent maintenant différents de ceux que vous avez entendus « en direct », une fois que ceux-ci ont été enregistrés, puis réécoutés à travers la médiation d’une technologie ?

« Changer notre relation avec les sons peut potentiellement modifier notre perception du monde »

En suivant l’approche acoustémologique, l’expérience quotidienne pour les personnes entendantes de privilégier certains sons au profit d’autres – et même de parfois tenter de s’isoler dans de nouvelles atmosphères sonores à travers la suppression du bruit offerte par un casque d’écoute ou des écouteurs – peut être vue comme un riche réservoir de savoirs concernant la manière dont nous interagissons avec le monde et dont nous nous construisons en tant qu’individus par le même processus. Ainsi, changer notre relation avec les sons peut potentiellement modifier notre perception du monde. Et si nous tentions de davantage porter attention aux sons ambiants ? Qu’est-ce qu’une écoute active du son des voitures plutôt qu’une marche passive d’un endroit à l’autre pourrait révéler par rapport à nos relations avec les véhicules ? Que se passerait-il si un bruit complètement différent de ceux que nous associons aux moteurs émergeait d’une voiture ? La voiture resterait- elle une voiture ? Qu’est-ce qui définit la voiture en tant que « voiture » ?

La compositrice Pauline Oliveros s’est notamment demandé pourquoi, en plus des télescopes captant des images de l’espace, nous ne tenterions pas aussi d’enregistrer les sons des galaxies, et à l’opposé, de capter aussi les sons entourant le « micro-monde » visuellement accessible à travers les microscopes. En effet, pourquoi privilégier l’apprentissage à travers la vision plutôt que par l’écoute ? D’où nous vient ce désir, cette impulsion de tout voir ? « Je dois le voir pour le croire » ; pourquoi ne pas plutôt chercher à « entendre pour croire » ? Pourquoi nos croyances sont-elles souvent basées sur la vision ? Pensons‑y une minute, le temps d’écouter activement nos environs.


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