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L’environnement aux enchères

Pour l’art ou l’environnement, le prix n’est pas une mesure adéquate.

Grégoire Collet | Le Délit

Comment est fixé le prix d’une œuvre d’art ? Un principe économique élémentaire nous indique que la valeur économique de tout élément unique et non reproductible est le prix que cet objet atteint aux enchères. La valeur ajoutée du talent de Banksy ne pouvant être estimée, le prix de son œuvre La Fille au Ballon – aussi déchirée qu’elle soit aujourd’hui – est de plus d’un million d’euros, fixé par le coup de marteau final de Sotheby’s. Mais comme le rappelle le mathématicien Nicholas Georgescu-Roegen, ce principe n’est pas applicable qu’aux objets artistiques : il est souvent utilisé pour calculer le prix des espaces naturels, tout aussi uniques et impossibles à reproduire. La valeur économique d’une forêt est-elle de même nature que celle d’une œuvre d’art ? Est-il même raisonnable d’attribuer une valeur économique à une forêt ?

La triche aux enchères

Cette théorie du prix comporte en elle-même un problème majeur. C’est qu’elle ne s’applique que lorsque tout le monde qui porte un intérêt à l’objet est autorisé à et capable d’enchérir. Reprenons l’exemple de La Fille au Ballon : si ma sœur et moi étions les seules à pouvoir enchérir, je l’aurais probablement obtenu pour deux dollars, étant donné que ma sœur ne s’intéresse pas vraiment à l’art contemporain. Le prix ne refléterait alors aucunement la valeur que cette œuvre pourrait avoir lors d’une enchère ouverte. Si nous devions appliquer ce principe pour calculer le prix de notre forêt, toutes les générations futures qui y trouveraient un intérêt potentiel devraient être autorisées à voter, car nous n’avons pas plus de « droit de propriété » sur cette forêt qu’elles, la Terre étant « leur » héritage autant que « le nôtre ». Et comme elles ne peuvent être présentes aujourd’hui, un tel prix ne peut être ainsi déterminé. La valeur économique d’une forêt n’est donc probablement pas de la même nature que celle d’une œuvre d’art.

Un critère erroné

L’échec de cette théorie pointe du doigt un problème plus fondamental. Les économistes, en faisant des ressources naturelles un capital économique et un facteur essentiel de production, s’exhortent à leur trouver un prix. Les théories sont nombreuses, toutes alimentant le mythe selon lequel le prix – la quantification monétaire – est une mesure adéquate pour déterminer une allocation optimale des ressources naturelles. Or, toutes ces théories, comme celle que nous venons de critiquer, reposent sur la même erreur : la valeur des écosystèmes n’est pas estimable à l’aide d’un seul critère monétaire, si tant est qu’elle peut être estimée tout court. Même dans une perspective utilitariste, ce que nous retirons de notre environnement n’est pas quantifiable. Les « services écosystémiques », ou tous les bénéfices que notre civilisation reçoit des écosystèmes, sont immenses, de la purification de l’air et de l’eau, la régulation du climat, la production de nourriture et la provision des énergies sur lesquelles reposent notre civilisation, jusqu’aux bienfaits psychologiques et récréatifs que peuvent apporter des espaces naturels. Nous disions donc… Le prix d’une forêt ?

« La valeur de la nature n’est pas estimable à l’aide d’un seul critère monétaire. »

Le critère monétaire, qu’il soit utilisé pour calculer le prix d’une forêt ou celui d’une œuvre de Banksy, est une création humaine. Toute ressource non quantifiable, naturelle ou culturelle, inscrite dans un système complexe et dont les bienfaits impliquent des acteurs d’une extrême variété, ne peut être soumise au diktat de la quantification économique. Et le pied de nez de Banksy à Sotheby’s résonne comme un sombre présage : ce n’est pas un prix, aussi exorbitant soit-il, qui la sauvera de la destruction…


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