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Foucault et la normativité éthique

Portrait d’une conférence : élaborer sa vie comme une œuvre d’art.

Fatima Silvestro | Le Délit

Le 20 septembre 2018 se tenait la première conférence de philosophie de la session à l’Université de Montréal. Daniel R. Rodriguez-Navas de la New School de New York venait parler de sa publication imminente, From Obligation to Autonomy : The Role of the Aesthetics of Existence in Foucault’s Ethical Views (De l’obligation à l’autonomie : le rôle de l’esthétique de l’existence dans l’éthique de Foucault). Il y décrit la réponse de Michel Foucault à la       disparition de l’éthique de l’obligation traditionnelle, c’est-à-dire sa proposition d’une éthique de l’autonomie basée sur la recherche continue de l’esthétique de l’existence.

La dimension normative et éthique

Pour définir l’éthique, Foucault part de l’idée kantienne de l’expérience possible et y apporte quelques modifications. Pour lui, tout ce qui est pensable et faisable est interdépendant, et les formes d’expériences possibles sont définies par ce qu’il est possible de penser, faire et être en tant que sujet moral. Ce que l’on peut penser fait référence aux concepts, théories et autres ontologies des domaines du savoir ; ce que l’on peut faire s’inscrit dans le cadre d’un ensemble de normes de conduite (types de normativité) ; finalement, ce que l’on peut être peut constituer la relation que l’on entretient avec soi-même.

Foucault définit ensuite la structure de la « moralité » par le code moral, le comportement réel en relation à celui-ci et la façon dont on doit se conduire, se constituer soi-même en tant que sujet moral. Il s’intéressera particulièrement au dernier point : la normativité éthique. Il la sépare en trois parties : les raisons d’agir moralement (la source des forces normatives), les types de forces normatives et la conception de la liberté (la capacité constitutive de l’être humain). Cette normativité éthique a donné lieu à plusieurs conceptions de la morale qui ont toutes en commun une obligation éthique sans borne de restreindre la liberté.

Une éthique de l’obligation

Selon Foucault, la morale dominante de l’Antiquité correspondait à une recherche de l’éthique personnelle, mais le christianisme marque le début de la transition vers une « morale comme obéissance à un système de règles », ou encore une éthique de l’obligation. Cette conception de la normativité éthique, qui prend sa source dans des vérités ontologiques, est de nature prohibitive, restrictive et limitative et elle conçoit la liberté comme devoir de l’être humain. En d’autres termes, elle lui impose l’obéissance à un certain ensemble de règles (par exemple, un texte religieux) dont les forces normatives restreignent nécessairement la liberté en prohibant un ensemble défini d’actions.

Une éthique de l’autonomie

Rappelons la célèbre phrase prononcée par Ivan Karamazov dans Les frère Karamazov de Dostoïevski « Si Dieu est mort, tout est permis. » Si Dieu est mort, l’éthique de l’obligation de la tradition chrétienne a perdu sa source. Si rien n’est vrai, comment doit-on vivre ? En bon lecteur de Nietzsche, c’est la question que se pose Foucault en remplaçant « tout est permis » par « comment vivre ? » Il soutient que même si rien n’est vrai, il y a de meilleures et de pires façons de vivre.

Dans une entrevue avec Alessandro Fontana publiée dans Le Monde en 1984, Michel Foucault identifie un nouveau changement de paradigme : « l’idée d’une morale comme obéissance à un code de règles est en train, maintenant, de disparaître, a déjà disparu. »

« Si Dieu est mort, tout est permis. »

La réponse foucaldienne à l’absence de morale engendrée par le nihilisme et la quasi-disparition de l’éthique de l’obligation est l’éthique de l’autonomie par la recherche d’une esthétique de l’existence. Sous la dimension normative, elle prend ses racines dans l’engagement individuel à vivre d’une façon esthétiquement morale, dont les forces normatives sont productives et dont la conception de la liberté est surtout restreinte par le contexte social, politique et historique.

L’esthétique de l’existence pousse l’individu à se demander quel type de sujet il désire devenir, quel sera l’héritage qu’il léguera et en sachant qu’il n’est pas libre, comment peut-il le devenir ? Cette conception de l’éthique est seulement présentée comme une option, un choix possible, car sa réalisation est le travail de toute une vie où il faut remettre en question sa propre constitution, son rapport pensée-action, minimiser l’influence du milieu socioculturel et critiquer continuellement ce processus même. Il s’agit d’un projet de production créative de soi-même. 


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