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Les étudiant·e·s au banc des accusé·e·s

Les étudiant·e·s ont leur part de responsabilité dans le phénomène d’embourgeoisement de la métropole.

Béatrice Malleret | Le Délit

La gentrification, anglicisme désignant l’embourgeoisement urbain, est un concept désormais difficile à ignorer. Étant témoins des mouvements d’opposition, des manifestations et des vitrines de boutiques fracassées, nous sommes forcé·e·s de constater que la revitalisation des quartiers montréalais suscite inquiétude et indignation. L’on ne peut le nier, l’accroissement d’intérêt porté à un espace déjà bien occupé mène à une transformation du profil social et économique, apportant à long terme des conséquences intrinsèquement défavorables. Par exemple, l’arrivée de gens aisés dans un quartier plutôt défavorisé conduit

Il s’agit de milliers de Montréalais.e.s, annuellement, qui sont contraint.e.s de fuir leur quartier, laissant derrière eux les nombreux souvenirs créés durant les dix, vingt et même trente dernières années

inévitablement à la construction de nouveaux commerces et restaurants haut de gamme qui sauront convenir à la nouvelle classe de résident·e·s. Le quartier se voit donc tranquillement refaçonné en espace moderne et développé. Or, le secteur étant plus attrayant, le développement urbain mène à l’inflation des loyers. Et ne pouvant se permettre cette augmentation, les moins nanti·e·s se résignent à quitter le quartier pour se réfugier dans un coin de l’île encore plus défavorisé. Il s’agit de milliers de Montréalais·e·s, annuellement, qui sont contraint·e·s de fuir leur quartier, laissant derrière eux les nombreux souvenirs créés durant les dix, vingt et même trente dernières années. 

Cependant, les causes de l’embourgeoisement ne tiennent pas que des agents immobiliers et propriétaires de condos assoiffés d’argent, le phénomène est complexe et prend diverses formes. En fait, les étudiant·e·s contribuent aussi à l’embourgeoisement des quartiers montréalais. 

Une ville étudiante

Montréal est désignée comme la meilleure ville d’Amérique du Nord pour étudier, selon le classement du cabinet Quacquarelli Symonds (QS) et héberge l’une des meilleures universités au monde, soit l’Université McGill (32e dans le classement), 

toujours selon la même source. Il n’est donc pas surprenant que la métropole abrite près de 35 000 étudiant·e·s étranger·ère·s, soit 77% des nouveaux·elles citoyen·ne·s installé·e·s au Québec, et que ces chiffres ne cessent d’augmenter. Comme tout flux migratoire, l’arrivée de ces nouveaux·elles étudiant·e·s crée de grands changements sociaux et économiques. Indéniablement, une forte vie étudiante permet le roulement de l’économie locale, entraîne la création d’évènements éducatifs et culturels et mène à la construction de lieux publics tels que les bibliothèques, les cafés et les bars. Dans la société vieillissante qu’est le Québec, les étudiant·e·s permettent d’autant plus un renouvellement de la main d’œuvre. La présence d’étudiant·e·s internationaux·ales, de plus, renforcé la mosaïque culturelle qu’est Montréal — et ne faut-il pas oublier que c’est son cosmopolitisme qui la distingue du reste du Canada. 

Embourgeoisement étudiant

Sur une note moins positive, les étudiant·e·s s’installent

généralement dans des quartiers où le coût des loyers est assez bas, se séparant le prix entre deux, trois ou même quatre colocataires. Les propriétaires se tournent alors vers des logements plus grands et peuvent ainsi se permettre d’augmenter le loyer, au détriment des petites familles qui ne peuvent se permettre qu’un appartement modeste. Et même pour les familles aisées, le déménagement est parfois la seule option lorsque leur petit quartier tranquille se transforme en débauche étudiante.

Constatant la demande grandissante de logements pour étudiant·e·s et y voyant un marché florissant, les propriétaires et les  universités se sont empressés de créer des résidences étudiantes près des campus. Parc Cité ou encore Evo dans le Milton Parc, l’Îlot voyageur dans le quartier latin et le 355 rue de la Montagne dans Griffintown : l’on parle de logements qui impressionnent par leur style moderne et luxueux. Encore une fois, aucune place aux logements abordables ne fut accordée dans ces 

projets immobiliers.

Les contrecoups de la population étudiante ne s’arrêtent pas là. S’installant à Montréal de façon temporaire pour la plupart, les étudiant·e·s ne traitent pas le quartier où ils·elles résident de la même façon que les habitant·e·s de longue date. En effet, chaque quartier possède certaines caractéristiques qui lui sont propres, ce qui crée un sentiment d’appartenance parfois puissant chez ceux et celles qui y résident. Ces dernier·ère·s veillent ainsi au maintien et à la floraison du coin en participant par exemple aux activités culturelles du quartier, en s’impliquant auprès de comités locaux ou simplement en respectant les règles et l’environnement des lieux. Tandis que pour un·e étudiant·e fraichement arrivé·e en ville et considérant qu’il·elle ne s’installe que temporairement, il est plus difficile de 

Le gouvernement pourrait à son tour faire sa part en développant des stratégies concrètes pour améliorer l’intégration des étudiant.e.s internationaux.ales à leur nouveau milieu

développer un rapport d’attachement pour son arrondissement, et l’individu ne s’investira probablement pas dans la vie de quartier. Rien d’alarmant, certes, mais lorsqu’il s’agit d’une vague importante d’étudiant·e·s passager·ère·s, ou de la construction d’imposantes résidences universitaires, cela peut gravement endommager l’harmonie du quartier. Le non-respect de la collecte des ordures, par exemple, est un problème récurrent dans les arrondissements où y vivent de nombreux·ses étudiant·e·s. Des concierges opérant dans Milton Parc et le Plateau ont témoigné à la presse de Radio-Canada que les rues sont continuellement couvertes d’ordures jetées par les étudiant·e·s qui ne se soucient pas des règlements municipaux. 

La population étudiante a son lot de responsabilités dans l’embourgeoisement des quartiers montréalais, mettant l’authenticité de la ville en péril

Ces incivilités sont d’autant plus visibles à la fin des semestres, où les étudiant·e·s s’empressent de quitter pour les vacances en abandonnant meubles et déchets au passage. Comme mentionné, l’arrivée en masse d’étudiant·e·s permet à la métropole de conserver son dynamisme et sa vivacité. Nul ne peut ignorer l’apport de ces nouveaux·elles arrivant·e·s sur les plans social, culturel 

et économique.

Toujours est-il que la population étudiante a son lot de responsabilités dans l’embourgeoisement des quartiers montréalais, mettant l’authenticité de la ville en péril.

Bien évidemment, la solution n’est pas de pénaliser les universitaires, plutôt faudrait-il sensibiliser les nouveaux·elles étudiant·e·s quant à l’importance de respecter et de participer à la vie de quartier. Le travail doit peut-être débuter dans les universités mêmes. Elles devraient s’assurer que les projets immobiliers de résidence respectent la volonté du quartier dans lequel ils s’implantent et encourager la participation des étudiant·e·s aux activités locales, par exemple, au travers de projets de recherche. Le gouvernement pourrait à son tour faire sa part en développant des stratégies concrètes pour améliorer l’intégration des étudiant·e·s internationaux·ales à leur nouveau milieu. Pour protéger la culture québécoise, il faut inciter les nouveaux·elles citoyen·ne·s à s’y intéresser, plutôt que de tenter de les en écarter.


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