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Entre violence et douceur

World Press Photo Montréal 2018 : mise en réflexion du quotidien, du brutal et de l’heureux.

Ronaldo Schemidt

Le marché Bonsecours, situé au cœur du quartier du Vieux-Port, accueille tout au long du mois de septembre la 13e édition du World Press Photo Montréal. Prestigieux concours annuel de photographie professionnelle, l’événement propose une rétrospective des événements internationaux marquants de l’année passée.

En 2018, le World Press Photo Montréal récompense 42 photojournalistes de 22 pays, pour 150 images lauréates. Au long du parcours de l’espace situé au rez-de-chaussée, toutes les images sélectionnées sont distinguées et rassemblées par catégories : enjeux contemporains côtoient environnement, projets à long terme de photographes, sports ou encore portraits.

Tout juste après avoir passé l’entrée du bâtiment, l’on est happé par la première image exposée. Très sombre, en orange et noir, elle jure sensiblement avec l’ambiance claire de la salle : il s’agit de la photographie ayant remporté le prix de la photo de l’année. La récompense a été attribuée au photographe vénézuélien Ronaldo Schemidt de l’AFP (Agence France-Presse), pour l’exploit d’avoir capté l’intense violence de l’instant représentant une silhouette masculine encadrée par la police prenant tout à coup feu. José Victor Salazar Balza, 27 ans, est l’homme représenté sur cette photo prise lors d’une lors d’une manifestation de mai 2017 contre le président Nicolas Maduro à Caracas, au Venezuela. Le choc est d’entrée palpable, mais le soulagement n’en est que plus grand lorsque l’on se déplace à l’envers de la photographie pour découvrir que le jeune homme s’en est tiré malgré ses nombreuses brûlures au second degré. 

Ivor Prickett

Terreurs et compassions humaines

Au fur et à mesure que l’on parcourt l’exposition, on note à contrecœur qu’à l’inverse du jeune José Victor Salazar Balza, tous les protagonistes ne s’en sont pas aussi bien sortis.

Une section au fond à gauche de la galerie est réservée aux moins sensibles. On s’en prend rapidement plein les yeux : Toby Melville, photographe anglais raconte à travers Witnessing the Immediate les attentats de Westminster où il s’avérait être présent, de manière crûment figurative. 

Des passants aident des victimes immédiates de la voiture-bélier conduite par le terroriste, tuant cinq personnes et faisant plus d’une cinquantaine de blessés. On y voit une de ces blessés, une touriste américaine, ironiquement allongée dans les cartes postales de la capitale anglaise, dispersées par la force du choc. Le contraste entre la panique lisible sur le visage de la blessée et l’environnement du cadre est déroutant, et l’on ne s’en remet pas facilement.

Les traumatismes des actes terroristes sont largement représentés à travers ce palmarès.  Un peu plus loin, à l’arrière de la petite section, il faut passer voir Car Attack de Ryan Kelly pour constater toute la fragilité du quotidien. Cette image est celle de la voiture-bélier fonçant en août 2017 dans la foule d’un groupe de manifestants antiracistes rassemblés en opposition à une manifestation d’extrême-droite de suprématistes blancs à Charlottesville, dans l’État de Virginie aux États-Unis. En une image se condense tout le désespoir d’une vie banale arrachée à ces gens : des chaussures, des téléphones, des corps dans tous les sens, projetés en l’air et retombant, malgré leur éclectisme frappant, dans une même faiblesse de chiffon. 

La douceur de l’anodin

Après tant d’émotions relativement difficiles à supporter, on escompte enfin voir un peu d’espoir. On le trouve en montant à l’Espace Mezzanine, à travers l’exposition L’Après-coup » qui concentre les regards et les rencontres photographiques d’Alexandre Champagne sur l’après-tragédie du Centre culturel islamique de Québec. Sont présentées des histoires intimes, touchantes, qui apportent finalement aux visiteurs un peu d’apaisement face à toute la violence présente au fil de l’exposition, dont il est à peine donné d’imaginer l’impact sur la vie des victimes et survivants d’attaques terroristes.

Dans un ton bien différent, en redescendant au premier étage et juste avant de quitter l’exposition, on tombe presque sans faire attention sur un îlot de douceur qui semble en décalage discret avec le poids justifié des autres sujets. Ich Bin Waldviertel projet à long terme de Carla Kogelman mené depuis 2012, présente une sélection touchante de clichés retraçant l’évolution d’Alena et Hannah, deux jeunes filles que la photographe suit dans leurs étés, au fur et à mesure des années.

Un portrait tout en douceur et en intimité de l’enfance et des débuts de l’adolescence dans ce petit village bioénergétique de Merkenbrechts. Les portraits des deux fillettes et leurs frères et amis jouant dehors, nageant dans ce village d’Autriche autonome en énergie de la biomasse locale et de sources renouvelables apportent une touche d’espoir nécessaire pour apprécier l’ensemble du World Press Photo à sa juste valeur : un portrait fidèle de l’année 2017. 

Jusqu’au 30 septembre au marché Bonsecours.


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