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Sur le chemin de femmes inspirantes

Le Délit s’est entretenu avec la co-conceptrice des Patronnes.

Courtoisie des Patronnes

La web-série Les Patronnes sera diffusée sur ici​.tou​.tv à partir du 30 mars. Laurence Davidson et Camille Mongeau ont décidé de filmer leur chemin les menant à Michelle Obama, sur le bord duquel elles ont croisé un éventail de femmes inspirantes dont elles racontent le parcours.

Le Délit (LD): À travers cette série, vous dites chercher à mettre en pratique la théorie des six degrés de séparation. Pourriez-vous nous expliquer en quoi elle consiste ?

Camille Mongeau (CM): En fait, c’est une théorie qui dit que l’on est tous reliés de près ou de loin dans l’univers par six degrés de séparation. On peut donc accéder à n’importe qui par six poignées de main.

LD : Et vous cherchez à vérifier la théorie pour arriver jusqu’à Michelle Obama.

CM : Exactement, on s’est mis une contrainte dans le cadre de la série : de l’atteindre à travers un réseau de femmes.

LD : Pourquoi Michelle Obama particulièrement ? Quel modèle de femme incarne-t-elle selon vous ?

CM : Selon nous, elle incarne un modèle de femme qui est accomplie, qui donne beaucoup de temps pour le communautaire. Quand on s’est posé la question pour nos nouveaux modèles féminins, le nom qui revenait le plus souvent et dans notre entourage également était le sien. En plus, lorsque la série a été créée, c’était la fin du mandat de Barack Obama, alors c’était vraiment dans l’actualité.

LD : Vous faites partie à la fois du milieu du commerce et du monde artistique. Avez-vous conçu la série dans une volonté de combler un manque dans la représentation des femmes dans la culture ?

CM : Oui, il se trouve qu’on a commencé la série avant le mouvement #metoo. Je pense qu’elle a pris tout son sens à ce moment-là aussi, puisqu’on essayait de donner la parole à des femmes de tous milieux, plutôt qu’à des femmes déjà médiatisées. On a voulu aller explorer plus loin, rencontrer des enseignantes, des travailleuses sociales, etc., des personnes qui ont une opinion sur le féminisme, qui ont vécu des choses mais qu’on n’entend pas souvent. Notre série s’adresse surtout aux jeunes filles, même si elle convient à toutes. C’est une façon de les éduquer, dans un format plus ludique, plutôt que théorique et dénonciateur. On était plus dans le positivisme.

LD : Sur quels critères avez-vous choisi les femmes que vous avez questionnées ?

CM : Il y a deux éléments dans la série : les vox-pop et les six maillons, qui vont nous mener à Michelle Obama. Pour les vox-pop, on a voulu rencontrer des personnes issues de différents domaines, on voulait toucher un peu à tout. On voulait aussi des filles qui allaient être à l’aise, avec des succès à leur actif. Pour les maillons, puisqu’on s’attaque au monde politique, on n’a

« Le but était de personnaliser la thèse. On parle souvent de féminisme de façon théorique, historique et impersonnelle »

pas eu le choix que d’aller dans de plus grandes entreprises, rencontrer des femmes d’affaires, des femmes dans le milieu des arts. Ce chemin s’est tracé par lui-même, ce n’est pas nous qui avons choisi les intervenantes. Par exemple, on s’est demandé les personnes que Carole Brabant (directrice générale de Téléfilm Canada, ndlr), notre premier maillon, pouvait nous faire rencontrer, et ainsi de suite.

LD : Pourquoi avoir fait le choix du « je », de l’affirmation de la subjectivité, de mettre en avant le côté personnel de l’entreprise pour votre série ?

CM : En fait, dans la série, il y a deux protagonistes. Je suis à l’écran, mais la voix est celle de Laurence Davidson, la réalisatrice. Le but était de personnaliser la thèse. On parle souvent de féminisme de façon théorique, historique et impersonnelle. Puisque notre public cible est les jeunes, il fallait les chercher puis les captiver pendant plusieurs minutes. En rattachant ça à quelqu’un, on vient personnaliser la thèse et rendre ça plus ludique et plus adapté aux différents médias que les gens utilisent. C’est pour cette raison qu’on utilise des stories, des photos, Instagram, afin de lier leur format à notre contenu.

LD : Avez-vous observé chez les femmes que vous avez rencontrées des qualités communes qui leur ont permises de réussir, d’accomplir ce qu’elles ont accompli ?

CM : Je pense que la qualité la plus répandue était la persévérance, le fait de continuer malgré toutes les opinions externes, malgré les embuches, malgré le statut de la femme. La majorité de nos intervenantes principales sont des femmes de 40–50 ans, qui ont démarré dans un contexte où elles étaient plus oppressées que nous maintenant.

LD : Que pensez-vous de la représentation des femmes dans le milieu artistique québécois ?

CM : Je pense qu’on a encore beaucoup de travail à faire. Pendant longtemps, la femme a eu des rôles de side chick (femme de second plan, souvent la maîtresse d’un homme, ndlr), étant la « femme de », « la sœur de », la « fille de ». Tranquillement, les femmes commencent à avoir à la télé et au cinéma des rôles à part entière. Je pense que c’est encourageant, mais il y a encore beaucoup de progrès à faire en terme de représentation culturelle, notamment au niveau de la diversité ethnique. Par exemple, on voit très peu de femmes d’origine asiatique sur les écrans, mais je pense qu’on est sur la bonne voie. Les gens entendent le message et je pense qu’il faut laisser un peu de temps pour que ça change.

LD : Avez-vous cherché à représenter cette diversité dans votre série ?

CM : Oui, on a cherché à représenter une diversité autant générationnelle, qu’ethnique et corporelle, et je pense qu’on a bien accompli ce mandat-là. Pour nos maillons principaux, c’est des femmes d’affaire blanches. On en est consciente mais la mise en pratique de la théorie des six degrés de séparation nous obligeait à aller dans ce sens-là.

LD : Vous vous définissez comme féministes, vous l’affirmez…

CM : Oui, c’est drôle car on se fait souvent poser la question. Je pense que quand on a commencé le documentaire, on voyait ça comme un stand. Puis avec tout ce qui s’est passé cette année, toutes les rencontres et tout le travail de recherche qu’on a fait cette année, on n’a pas eu le choix que de devenir féministes. C’est un féminisme qui est inclusif, on ne condamne pas, on n’accuse pas les hommes, on est juste dans la célébration du travail des femmes. Donc oui, Laurence et moi on est féministes.

LD : Vous avez donc fait le choix de ne pas filmer d’hommes. Mais pensez-vous quand même qu’ils ont un rôle à jouer dans le combat ?

CM : On n’a peut-être pas filmé d’hommes, mais notre monteur, l’habillage sonore, la trame musicale, c’est des hommes qui les ont conçus. Dans notre équipe, notre caméra-man est un homme, notre preneur de sons est un homme, etc… Alors oui, il n’y en a pas à l’écran, mais il y avait beaucoup d’hommes derrière.

LD : Pensez-vous qu’on a un devoir de solidarité entre femmes ? Avez-vous cherché à utiliser la visibilité, les contacts que vous aviez pour mettre en lumière des femmes qui n’y avaient pas accès ?

« Il y a encore beaucoup de progrès à faire en termes de réprésentation culturelle, notamment au niveau de la diversité ethnique »

CM : Oui, c’est sûr et certain. L’accomplissement de tout le monde et la prise de confiance dépendent aussi de l’entraide que l’on a entre nous. Si on ne s’eclipse pas entre nous, c’est comme ça que chacun va pouvoir s’épanouir je pense. On n’a pas cherché des chroniqueuses, des chanteuses, etc., que l’on voit tout le temps à la télé. On voulait aller dans le vrai monde.

LD : Après avoir rencontré tellement de femmes, diriez-vous qu’il y a une condition féminine, une seule manière d’être femme, ou plusieurs ?

CM : C’est sûr qu’il y en a plusieurs. Dans l’épisode 2, l’une de nos intervenantes dit que se respecter, c’est respecter ses valeurs, mais que le spectre des valeurs est différent pour toutes. Tant que l’on se respecte nous-mêmes et ce qu’on a envie d’être, je pense que c’est ça d’être femme et être humain en général.


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