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Redonnez-moi Shakespeare

Titus Andronicus, la pièce la plus violente de Shakespeare est repensée au Prospero. 

Charles Fleury

Si les Écornifleuses présentent à Montréal leur adaptation du classique Shakespearien Titus, déjà acclamée à Québec en novembre. Sous la mise en scène d’Édith Patenaude, les dix acteur·rice·s de la troupe (8 femmes, 2 hommes) offrent une fraîcheur et un renouveau au texte, le rendant surprenamment accessible au public. 

Réflexion et innovation 

Tragédie masculine par excellence, où, dans le cadre d’une Rome Antique imaginaire, s’enchaînent en crescendo les violences les plus ignobles, Titus Andronicus et sa matrice de vengeance écrasante ont en apparence bien peu à voir avec notre sensibilité contemporaine. En effet, le texte original est fait pour être joué par une dizaine d’hommes et seulement deux femmes, par une dizaine de Blancs et un seul Noir. Son essence, soit la recherche de ce qui nous rend fondamentalement humain, se perd aisément sous tous les préjugés racistes, lieux communs offensants, et scènes de violence systématique à l’encontre des femmes qui l’obstruent.

La question est légitime : est-il possible d’apprécier le texte malgré ces barrières considérables ? Comme beaucoup qui s’interrogent sur la possible censure des œuvres du passé ne correspondant plus aux valeurs progressistes modernes, les Écornifleuses ont réfléchi. C’est cette réflexion-même qui transparait, celle qui nous poursuit lorsqu’on quitte la salle, et celle qui fait assurément toute la qualité de leur adaptation. 

La troupe entre en dialogue avec le texte. Au travers des siècles empoussiérés, Shakespeare nous parle toujours  et les voilà qui lui répondent, qui l’interrogent, qui le mettent au défi. Tout cela sans prétention, d’un naturel désarmant. Car effectivement, ce qui sauve Titus d’être une énième tentative mièvre de désacralisation du théâtre classique, c’est non seulement l’intelligence de sa subversion, mais aussi (et surtout) la quantité de respect et d’amour qu’elle démontre pour le texte. 

Le beau et le tragique de Shakespeare, les Écornifleuses l’ont trouvé, et elles le mettent au jour comme jamais. En quelque sorte, au travers de leur critique, elles nous le redonnent. En revisitant cette pièce obstruée par les barrières de l’évolution culturelle, linguistique et esthétique, en la dépouillant de façon assumée et honnête de tout ce qui la rendrait moins digestible, Patenaude et sa troupe rendent à Shakespeare la plus belle justice à laquelle il pourrait aspirer : un retour à l’essence de ce qui rend ses pièces universelles et éternelles.

Charles Fleury

Qualité dans la sobriété

Cette critique réflective se fait avec aisance et humour, sans qu’on ait l’impression à aucun moment qu’un quelconque agenda politique ne nous soit imposé. L’inversement des genres et des rôles est un choix risqué, mais si bien exécuté que l’hésitation première du spectateur se transforme rapidement en un plaisir fasciné. Ce contre-casting absolu offre aux acteur·rice·s la possibilité d’explorer des champs d’interprétation psychologique autrement inaccessibles. Le grand et solide Anglesh Major est terriblement touchant dans son rôle de douce victime Lavinia. La jeune et petite Joanie Lehoux, est elle magnifique dans la prestance et le tragique du héros Titus.

Costumes colorés mais étrangement sobres, jeux de lumières minimalistes mais ingénieux, et musique produite en direct, voilà presque les seuls accessoires dont s’équipe la troupe. Le reste repose sur les acteur·rice·s et sur leur interprétation du texte, et c’est largement suffisant.


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