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Un regard plus lumineux

La créatrice de la série Féminin/Féminin nous parle de sa vision et de son engagement.

Chloé Robi

Chloé Robichaud est une réalisatrice québécoise. Depuis 2014, elle cherche à montrer les amours lesbiennes sous un jour humoristique et optimiste avec la série Féminin/Féminin. La deuxième saison sortira le 14 février.


Le Délit (LD): En quoi la deuxième saison de la série ressemble-t-elle à la première et en quoi diriez-vous qu’elle en diffère ?

Chloé Robichaud (CR): Elle lui ressemble dans l’authenticité des situations, des personnages, il y a quelque chose de très réaliste. C’est une approche qui est encore vraiment présente dans la deuxième saison. Ce qui est différent, c’est vraiment le format : vingt minutes de plus que la première, les longueurs varient selon les épisodes, certains sont longs de plus de vingt minutes. Ceci permet de développer des arts dramatiques. Aussi, les histoires s’entremêlent, on est moins sur des portraits. 

LD : Votre série est-elle destinée à un public particulier ? Cherchez-vous l’identification du public lesbien à vos personnages ?

CR : C’est les deux. C’est effectivement très important pour moi que le public lesbien, bisexuel, quiconque ayant une appartenance à la communauté LGBTQ+ s’en rappelle. Mais c’est une série qui aborde des enjeux du quotidien, et n’importe qui peut s’identifier à ces situations-là. Ce qui m’a fait très plaisir après la sortie de la première saison, c’est que les gens m’ont dit « j’avais des préjugés, j’entretenais des clichés vis-à-vis de la communauté, et la série m’a aidé à les défaire, à mieux comprendre la vie d’une personne homosexuelle à Montréal. Cette vie n’est pas nécessairement différente de celle d’une personne hétérosexuelle ». Tant mieux si la série peut atteindre un large public, car on a envie de démystifier ce que c’est que d’appartenir à la communauté. 

LD : D’ailleurs, que pensez-vous de la représentation de la communauté lesbienne, mais aussi de la communauté LGBTQ+, dans l’art dit « mainstream »? Avez-vous produit la série dans une volonté de combler un manque, de rectifier des clichés trop véhiculés ?

CR : Quand on a eu l’idée de faire cette série-là, il y a 6–7 ans, il y avait assez peu de représentation. Il y avait eu The L Word, mais c’était quand même des filles riches à Los Angeles… donc on voulait quelque chose de plus proche de notre quotidien montréalais. Aussi, quand il y avait un personnage homosexuel dans les films, c’était souvent négatif. Les personnages vivaient l’homophobie, certains vivaient très mal leur coming out, certains films se terminaient en suicide. C’était une bonne chose d’en parler car c’est vrai que c’est extrêmement dur pour certains et on doit l’aborder. Mais on se disait qu’on pouvait aussi aborder le sujet d’un point de vue positif, montrer qu’il est possible de faire son coming out en développant autour de belles relations d’amitié, des relations d’amour. On voulait amener un regard humoristique, positif et lumineux sur la communauté. 

LD : Décidément, vous m’ôtez les mots de la bouche ! En effet, on voit que vous montrez très bien la complexité des doutes et des problématiques que l’on peut rencontrer au sein de la communauté LGBTQ+. En revanche,  j’ai eu l’impression que vous aviez fait le choix de ne pas insister sur les violences et les discriminations dont on peut souffrir quand on en fait partie dans une société hétéronormée. Est-ce correct d’interpréter cette série de cette manière et quelles ont été les origines de ce choix ?

CR : Je me base sur mon expérience. Quand j’étais adolescente, l’idée d’être gay me faisait excessivement peur. D’une part car je n’avais presque aucun modèle de femmes out (ayant fait leur coming out, ndlr) autour de moi dans le milieu québécois, et donc les références que j’avais étaient des témoignages très difficiles. J’aurais aimé aussi sentir que j’allais rencontrer une fille, tomber amoureuse, rigoler et vivre mon quotidien comme tout le monde. J’avais envie d’offrir ça car c’est quelque chose qui m’avait manqué.

LD : Par rapport à la manière dont vous avez choisi de représenter la réalité de l’expérience, il n’y avait pas vraiment de scènes de sexe explicites, alors même que la série prend les relations amoureuses comme sujet principal. Y’a‑t-il là une volonté particulière de votre part ?

CR : C’est une question que je me suis beaucoup posée. Qu’est-ce qu’on montre, combien on en montre, parce que ça fait évidemment partie d’une relation amoureuse entre femmes. On ne voulait pas non plus être trop pudiques, et il y a des scènes qui sont très intimes, très sensuelles dans la série. Cependant, puisque la série était destinée au web et accessible partout dans le monde, je n’avais pas non plus envie que le souvenir que l’on garde de cette série-là soit des images de femmes qui font l’amour, mais que l’on voie que cette série était plus que cela. Je ne voulais pas que l’on puisse utiliser ça d’une façon qui ne rendait pas du tout justice à toute la profondeur de la série. Lorsque la première saison est sortie, La Vie d’Adèle venait de sortir, et les gens parlaient plus des scènes de sexe que du film lui-même, et il y a en ça quelque chose de dommage, de s’éloigner de l’amour éprouvé par les deux protagonistes et de toute sa force et sa beauté. 

LD : Comment expliquez-vous le choix de la gratuité ?

CR : C’est en train de changer pour la saison 2. Pour la saison 1, personne ne connaissait la série. On voulait offrir ça à un large public, faire connaitre notre série, et ça a très bien fonctionné. Ça nous a aussi permis de faire des ventes à la télé en France, à la télé au Québec. Mais la réalité c’est que ce fut très difficile à financer et à réaliser. Pour la saison 2, ça devenait de l’ordre de l’impossible de dire qu’on allait la lancer gratuitement. Il y a aussi une limite à ce que je peux faire, notamment à faire travailler les gens bénévolement. On est dans un format plus proche des normes professionnelles. Au Québec on est avec Tou​.tv, et la série a été achetée en France sur Studio 4. Pour le reste du monde, on cherche des distributeurs. 

LD : Par rapport au processus de réalisation, sur quels critères avez-vous choisi vos personnages ?

CR : Pour ce qui est des personnages, ils sont venus très instinctivement. Je pense qu’ils s’inspirent de mon vécu, de certain·e·s ami·e·s, de filles que je côtoie et que j’ai vues à distance. Il y a une sorte d’hommage à une communauté que je fréquente depuis plusieurs années. Je ne peux pas parler de tout le monde, il y a une dizaine de personnages et 8 épisodes. C’est sûr que j’aurais voulu faire une meilleure représentation de la communauté, je pense qu’on s’améliore dans ce sens-là dans la saison 2 avec des nouveaux personnages. J’ai voulu amener à travers chaque personnage diverses expériences de vie. Elles ne sont pas toutes au même stade de leur vie, pas toutes au même stade de leur coming out. Certaines sont bisexuelles, certaines ont besoin au contraire d’affirmer leur homosexualité. J’avais envie de représenter l’idée que tout le monde est qui il est à sa façon et a le droit d’aimer qui il veut.  

LD : Sur quelles bases avez-vous choisi les actrices pour incarner ces personnages ? L’orientation sexuelle des actrices a‑t-elle été un critère de choix essentiel pour vous ?

CR : J’avais déjà travaillé avec certaines actrices, comme Eve Duranceau. Pour moi c’était important qu’il y ait un climat familial, un climat de plaisir puisqu’il y avait tellement peu de moyens. J’avais envie que les gens soient là pour les bonnes raisons, parce qu’ils croient au projet, parce qu’ils ont envie d’avoir du fun avec nous. J’ai vraiment cherché autour de moi et j’y suis allée au feeling. Pour la saison 2, on a fait des auditions pour des nouveaux personnages car on avait des personnages pour lesquels j’avais une idée assez spécifique de ce que je cherchais. L’orientation sexuelle, pour moi, n’a jamais été un critère. Je sais que parfois ça déplait à certaines personnes qui auraient voulu qu’on cast  des filles homosexuelles. Mon point est que, à l’inverse, si une actrice québécoise venait à déclarer qu’elle était lesbienne, est-ce qu’elle devrait soudainement ne se faire caster que pour des rôles de personnes homosexuelles ? Je ne veux pas rentrer dans ce qui m’apparaît être des cases. L’essentiel était de trouver l’actrice qui allait mieux représenter le personnage. Cependant, les actrices sont vraiment très proches de la communauté, elles viennent souvent aux évènements de Lezspreadtheword (site web et magazine autour de l’univers lesbien, ndlr), elles ont marché à la Pride plusieurs fois. Pour moi c’est ça l’essentiel, leur implication et leur amour, leur ouverture, leur générosité. 

LD : Vous ne pensez donc pas particulièrement que d’avoir vécu les expériences que l’on joue permet de mieux les jouer ?

CR : Non. Être acteur, c’est jouer un rôle, ce n’est pas nécessairement se jouer soi-même. Mon travail de réalisatrice est de les amener là où j’ai besoin qu’elles aillent. 

LD : La dernière question concerne Montréal en général. Vous avez été amenée à voyager dans le cadre de votre travail. Avez-vous observé des différences entre l’état d’esprit et la tolérance à Montréal, vis-à-vis de la question queer, par rapport aux autres lieux que vous avez visités ? Pensez-vous que la réalité des femmes lesbiennes que vous décrivez aurait été décrite différemment autre part ?

CR : Après, j’ai pas énormément voyagé, mais oui, évidemment, la série aurait été différente si elle avait été écrite ailleurs. Notre série reflète la communauté québécoise et c’est de cela dont je voulais parler. Si on prend par exemple The L Word, il y a quand même quelque chose de très californien et c’est tant mieux, si ça peut ensuite encourager d’autres personnes ailleurs à faire leurs séries et montrer comment les enjeux LGBTQ+ sont vécus un peu partout dans le monde. Je pense qu’on est très chanceux ici, et je peux faire une série sans me censurer, comme je le fais, et j’ai très conscience de ma chance. 

Chloé Robichaud

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