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Un passé qui ne passe pas

Une pièce essentielle sur la mémoire des pensionnats autochtones.

Guillaume Sabourin

Le théâtre Denise-Pelletier héberge jusqu’au 3 février la très intime mise en scène de Charles Bender du texte de Kevin Loring, Là où le sang se mêle, écrit sur la mémoire des pensionnats autochtones. L’occasion d’entendre les voix des Autochtones sur les terres qui jadis leur appartenaient, et de rétablir une réalité historique encore trop partiellement évoquée —pour ne pas dire occultée— dans les manuels d’histoire.

Plongée en terres autochtones

Il n’y a sur scène qu’une table en bois et pourtant on perçoit dès les premières minutes la présence des montagnes ; ici, un pont suspendu au dessus de la rivière, là le bar où Floyd et Quêteux boivent le peu d’argent qu’ils ont et parlent de tout —sauf du passé. Plus loin, la maison de Floyd, qu’il habite seul depuis le suicide de sa femme et le placement de sa fille par les services sociaux. En fond sonore, l’écoulement de l’eau, et les voix mêlées des nations Autochtones, Dene, Mik’Mak’ et Attikamekw. Une superbe bande son signée Musique Nomade.

Christine, June, Floyd et Quêteux sont né·e·s là où se croisent les rivières et là où le sang se mêle. Deux générations abimées par le poids des « écoles résidentielles », pensionnats d’État qui, de 1820 jusqu’à 1996, ont enfermé plus de 150 000 enfants autochtones dans le but de christianiser et d’assimiler de force les peuples des Premières Nations à la société  canadienne.

Renouer avec ses racines

Au cœur de la pièce, une histoire. Celle de Christine, adoptée enfant par un couple de citadin·e·s, qui retourne à l’âge adulte sur les traces de son père pour découvrir enfin d’où elle vient. Face à elle, les interrogations de tout un peuple : comment transmettre à nos enfants nos traditions et notre culture quand on nous a appris à les haïr dès le plus jeune âge ? Comment se débarrasser de ces idées qu’on nous a martelées, qui ont rendu notre peuple malade ? Comment passer au-delà des violences physiques, morales et psychologiques subies par toute une génération ?

Sur scène, la vie passe lentement, au fil des pintes et du courant. La douleur est vive mais les personnages brillent par leur résilience. Au centre la figure du pont : entre le pensionnat et la réserve, entre le passé et le présent, entre la vie et la mort —des dizaines de mètres plus bas dans les tumultes de l’eau, entre le père et sa fille, entre les Autochtones et ceux qui ont pris leur terre et volé une partie de leur histoire et de leur jeunesse.

Un cri dans le silence

Les Productions Menuentakuan offrent, à la fin de la représentation, un thé et un espace de parole. L’aigle passe de main en main. Odeurs d’encens mêlées aux voix qui se brisent. Pour clôturer la soirée, un cri de douleur des Autochtones, venu·e·s en nombre assister à la pièce : « Combien de générations ça va prendre avant de guérir nos peuples ?»


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