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Au cœur des médias communautaires

Le Délit s’est entretenu avec Julien Poirier-Malo, animateur à la station communautaire CIBL.

Alexis Fiocco | Le Délit

Le Délit (LD): Julien Poirier-Malo, vous étiez animateur à l’émission La Matinale de la station de radio communautaire CIBL avant la mise à pied inattendue de tous les employés il y a deux semaines. Pouvez-vous expliquer la spécificité du fonctionnement d’une radio communautaire ?

Julien Poirier-Malo (JPM): Les radios communautaires, tout comme les médias communautaires, sont d’abord et avant tout des radios démocratiques. Ce sont des organismes à but non lucratif : il y a une direction générale et un conseil d’administration qui est nommé par les membres [de la radio communautaire, ndlr]. […] Par exemple, CIBL compte quelques centaines de membres et ce sont les membres, qui paient une cotisation de 5$ par année, qui élisent ceux qui vont dicter la vision de la station.

LD : Comment la ligne éditoriale d’un média communautaire peut changer par rapport à celle d’un grand média comme Radio-Canada par exemple ?

JPM : C’est difficile de comparer avec Radio-Canada parce que le mandat [des radios] n’est pas le même. Évidemment, à CIBL, il n’y a aucune pression commerciale, ce qui est une grosse différence comparativement avec les radios [privées]. Il n’y a pas d’impératif de rendement. On a donc une totale liberté dans les sujets qu’on aborde et dans le choix des invités. La ligne éditoriale revient à la question du mandat, et [à CIBL], l’aspect communautaire est non seulement dans la structure, mais aussi dans le public visé qui constitue une communauté. On est une radio locale qui veut donner la voix à des intervenants locaux pour parler d’enjeux locaux. 

LD : Comment décririez-vous le portrait médiatique québécois actuel ?

FC : Ouf, c’est tout un mandat ! En quelques mots, ce qui distingue le Québec du reste du continent, c’est que nous avons un média public qui est très fort. Au Québec, nous croyons en un État-Providence fort. Nous croyons donc en un média public fort, d’où la pertinence de Radio-Canada. Sur le plan commercial, il y a une concentration médiatique qui se constate très clairement et parallèlement à cela, les médias communautaires en arrachent. CIBL en est un exemple, mais il y en a d’autres aussi. […] Je [souligne] l’importance des subventions publiques aux médias communautaires. Si l’on regarde ailleurs, on peut se consoler, notamment avec la situation aux États-Unis où c’est d’autant plus difficile si on est PBS ou un média communautaire. Mais si l’on se compare avec des pays comme le Royaume-Uni ou la France, [le Québec] a des croutes à manger.

« Les radios communautaires, tout comme les médias communautaires, sont d’abord et avant tout des radios démocratiques »

LD : Quelle est la situation du financement des médias communautaires au Québec ?

JPM : Pour dire les grandes lignes, les médias communautaires sont financés, pour la plupart, d’une part par les subventions publiques et d’autre part par les revenus publicitaires. Ce qui s’est exacerbé au cours des cinq dernières années, c’est une chute drastique des revenus [liés aux] annonceurs. […] Ce phénomène touche tous les médias, qu’ils soient privés, publics ou communautaires. Toutefois, les médias communautaires ont une marge de manœuvre qui est beaucoup plus mince et sont donc frappés plus durement. À CIBL, c’est en partie ce qui a mené à la mise à pied des employés il y a deux semaines.

LD : Par rapport à la pluralité des voix, quelle est votre perception des médias étudiants québécois ?

JPM : Comme les médias communautaires, les médias étudiants répondent à un mandat et visent un public très précis, à savoir le milieu étudiant. Dans la communauté universitaire, il y a énormément d’enjeux qui touchent des milliers, voire des dizaines de milliers d’étudiants. Sans les organes de presse étudiants, il n’y a pas vraiment moyen d’être tenu au courant de cela. Les médias étudiants ont donc un rôle central d’autant plus que les universités forment la population de demain. Je crois qu’il est très important que ces médias contribuent à l’éducation médiatique, politique, historique et culturelle des étudiants, tout cela en formant des futurs journalistes de surcroit. 

LD : Dans une lettre écrite par les employés de CIBL, vous parlez de célébrité mais également de la « vedettisation » des médias au Québec. Qu’entendez-vous par cela ?

JPM : Aujourd’hui, il y a, de toute évidence, un besoin de plus en plus grand pour les producteurs et les diffuseurs d’avoir des vedettes pour que le produit fonctionne. C’est vrai pour la radio FM, la télévision et la presse écrite. Est-ce que c’est le public qui demande ça ou est-ce que c’est le producteur qui fournit ça au public ? […] Va savoir. Nous, ce qu’on réussissait à prouver avec La Matinale et CIBL, c’est qu’il n’y avait pas besoin d’avoir des vedettes pour que le contenu ait son bassin d’auditeurs. Avec du bon contenu, c’était possible d’y arriver.

« Il n’y a pas d’impératif de rendement. On a donc une totale liberté dans les sujets qu’on aborde et dans le choix des invités »

LD : Quel est votre souhait pour améliorer la situation des médias communautaires pour les prochaines années ?

JPM : Il faut d’abord revoir le plan d’affaires pour certains médias communautaires, notamment CIBL. L’époque où l’on pouvait se contenter de faire de la « radio-école » est révolue. J’espère que ces médias vont peaufiner leur modèle d’affaires d’ici les prochaines années. J’espère également que le climat politique aidera les médias communautaires à recevoir davantage d’aide. Il y a notamment un mouvement qui vise Ottawa pour réclamer plus d’aide pour les médias en général. Ce n’est pas pour rien que des dizaines de journaux ont fermé au Canada dans les dernières années : c’est parce qu’il y a une crise. J’espère qu’il y ait une oreille attentive à cela à tous les paliers de gouvernement et que l’exode massif des revenus publicitaires vers les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon, ndlr) puisse se calmer aussi. 

LD : Est-ce que vous pensez que nous devrions mieux protéger les médias locaux par rapport aux géants médiatiques ?

JPM : C’est difficile de répondre non. Je crois que les citoyens ont tout avantage à s’engager dans la sauvegarde de leurs médias. Pour ce qui est des médias communautaires, c’est très simple, [le moyen de s’engager] est de devenir membre et de participer aux assemblées générales. Les artisans de ces médias-là ont un devoir d’explication et un devoir de pédagogie, car très souvent les gens ne comprennent pas ce qu’ils peuvent faire [pour aider ces médias]. […] La pertinence des médias communautaires, que ce soit à Montréal ou dans les régions […], n’est plus à prouver.


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