Aller au contenu

Trois zones en conflit, un combat

RIDM présente Le pouvoir de demain, dernier cru de la cinéaste engagée Amy Miller.

Sylvestre Guidi

La réalisatrice Amy Miller n’a pas froid aux yeux, habituée comme elle est à filmer droit au front des luttes de justice sociale à travers le monde. Depuis 2009, elle tourne des documentaires engagés qui assume pleinement son parti pris sans pour autant verser dans la commisération avec ses sujets, piège dans lequel sont tombés d’autres documentaristes du genre, avant elle. Au contraire, Miller met l’accent sur les efforts collectifs déployés par les communautés pour tenir tête avec dignité aux systèmes qui les menacent.

Dans Myths for Profit (2009), elle avait examiné le rôle pas toujours innocent du Canada dans le commerce international de l’armement, alors que The Carbon Rush (2012) énumérait les effets pervers de la ruée vers les crédits de carbone liés à des projets « écologiques » douteux situés dans trois pays en voie de « développement ».  No Land, No Food, No Life (2013) traitait quant à lui des saisies de terre de paysans défavorisés au Mali, au Cambodge et en Ouganda. On peut donc dire que la native de Sudbury, Ontario s’est engagée à donner une voix aux communautés marginalisées dans des régions dont le grand public canadien n’entend que peu parler.

Dans  Le pouvoir de demain, Miller a récupéré une formule qui avait très bien servie dans ses deux films précédents : elle a voyagé à trois points de conflits dans le monde pour y recueillir des témoignages passionnés et — plus que jamais — des images époustouflantes, ayant ici refait équipe avec le cinématographe Sylvestre Guidi qui avait également contribué à No Land, No Food, No Life.

Gaza

Le film commence dans le bloc opératoire de l’hôpital Al Shifa à Gaza, subitement plongé dans le noir par une panne de courant aussi débilitante que fréquente dans le territoire enclavé, sous blocus israélien et égyptien. « Le courant est coupé ?» demande un chirurgien en pleine opération. « Dieu merci pour les batteries », répond un autre quelques secondes plus tard alors que s’enclenche l’éclairage d’appoint, sombre mais suffisant pour continuer la procédure. Le personnel de l’hôpital doit composer chaque jour avec les contraintes énergétiques qui leur sont imposées : une analogie marquante de la dynamique de pouvoir asymétrique que Gaza subit depuis un demi-siècle sous le joug de l’occupation.

« À chacun de ces endroits, les populations locales mettent en œuvre des réseaux solidaires pour résister aux affronts du conflit armé, de l’occupation, et/ou de la destruction écologique »

Arauca

Cette région éloignée de la Colombie serait l’une des plus militarisées au monde, selon des intervenants sur le terrain. Le « Plan Colombie » conclu avec les États-Unis en 1999 apportait à l’armée colombienne un important soutien américain devant servir, en théorie, à combattre les cartels de drogue et les insurrections de gauche. Dans les faits, elle « sécurise » les intérêts pétroliers de firmes transnationales venues exploiter les gisements pétroliers dans la jungle d’Arauca, au détriment des populations locales qui subissent l’injustice des saisies de terre et l’indignité de l’occupation militaire constante.

Rhénanie

Dans cette région du nord de l’Allemagne, l’extraction industrielle de la lignite (charbon brun), une des sources d’énergie qui contribue le plus aux changements climatiques en plus d’occasionner des pluies acides, est croissante depuis le retrait progressif du nucléaire annoncé par l’Allemagne en 2000. Le complexe minier à ciel ouvert en Rhénanie représente la plus grande source de carbone en Europe, alors qu’on sait déjà que 80% des gisements mondiaux d’hydrocarbures doivent rester sous terre pour limiter à 2 degrés la hausse de la température moyenne globale.

« C’est un choix judicieux ici que de céder la parole aux protagonistes qui racontent à la première personne les succès inspirants de leur communauté respective »

Problème global, solutions locales

À chacun de ces endroits, les populations locales mettent en œuvre des réseaux solidaires pour résister aux affronts du conflit armé, de l’occupation, et/ou de la destruction écologique. À Gaza, l’hôpital a installé, à l’instar des ménages palestiniens ayant les moyens d’en équiper leur maison, de puissants et dispendieux systèmes d’énergie solaire pour assurer les besoins de base de l’établissement. Exemple marquant : les produits sanguins devant être réfrigérés en tout temps, ce système d’appoint permet de sauver la réserve en cas de panne. Encore, le personnel doit assurer manuellement plusieurs tâches qui seraient, autrement, assurées par des appareils déjà présents sur place.

Les habitant·e·s d’Arauca se mobilisent pour résister à l’invasion des pétrolières transnationales ; forment des coopératives pour assurer tant les services publics de transport et d’aqueduc que la mise en marché des produits alimentaires locaux, et assurent un meilleur lendemain collectif aux habitant·e·s de la région. En Allemagne, on a mis sur pied plus d’une centaine de villages alimentés par la bioénergie alimentée de résidus agricoles et gérée par des coopératives locales. Au moment du tournage, des activistes participaient à un campement autogéré d’action sur le climat et à des actions directes de désobéissance civile sur le site et sur la gigantesque machinerie de la mine. Un groupe s’apprêtait aussi à occuper à long terme la cime des arbres d’une forêt millénaire menacée par l’expansion de la mine voisine.

« Là où il y des schémas d’oppression, il y a aussi (et surtout!) un potentiel d’organisation citoyenne pour le bien de tou·te·s »

Le pouvoir populaire : aujourd’hui et demain

Contrairement à  No Land, No Food, No Life narré par la vedette de cinéma Neve Campbell, Le pouvoir de demain est commenté entièrement par les intervenant·e·s sur le terrain : médecins gazaouis, activistes colombien·ne·s et autres ingénieurs allemand·e·s, parmi d’autres. C’est un choix judicieux ici que de céder la parole aux protagonistes qui racontent à la première personne les succès inspirants de leur communauté respective. La caméra de Guidi fournit maints plans des plus lumineux, soigneusement composés et souvent d’une beauté remarquable. Miller, en tant que réalisatrice et productrice du film, évite donc le piège de la sur-dramatisation visuelle : un étalonnage plus sombre et l’inclusion de plus d’images-choc auraient pu susciter un sentiment de désespoir alors que ce film se veut au contraire un appel à la mobilisation affirmative. Comme dans les films précédents de Miller, le message qu’on retient en est un d’espoir : là où il y des schémas d’oppression, il y a aussi (et surtout!) un potentiel d’organisation citoyenne pour le bien de tou·te·s.


Articles en lien