Aller au contenu

Derrière les RIDM avec Amy Miller

Le Délit s’entretient avec la réalisatrice du documentaire Le pouvoir de demain.

Sylvestre Guidi

Alors que les Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal (RIDM) battent leur plein,  Le Délit a eu la possibilité de rencontrer Amy Miller pour parler de son nouveau projet. Ce dernier est son quatrième documentaire, qui marque également sa quatrième oeuvre en tant que réalisatrice. Le pouvoir de demain est un film engagé qui, comme ses deux précédents, fait l’analyse d’enjeux socio-environnementaux à trois différents endroits du monde. Échange avec une réalisatrice éprouvée qui ne recule pas devant les obstacles ou le danger.

« L’an dernier était difficile, dit-elle d’emblée. On a subitement perdu un quart de notre financement pour Le pouvoir de demain lorsqu’un de nos diffuseurs a fermé ses portes, et on a donc dû actionner nos muscles de résistance (« resilience » en anglais, ndlr) pour produire ce film. »

Le Délit (LD): Quelles sont les difficultés qui touchent votre milieu actuellement ?

Amy Miller (AM): Dans un paysage médiatique évoluant, les médias convergent et se concentrent : il y a de moins en moins de licences de diffusion et on doit concurrencer les contenus en ligne. En tant que cinéastes indépendants, on cherche et on finit par trouver, à l’instar des sujets de mes films, des solutions de survie collective.

LD : Comment avez-vous choisi les sujets de vos films, et d’où tirez-vous votre inspiration ?

AM : Les enjeux dont traitent mes trois derniers films font tous partie d’un même grand tableau d’injustice climatique : saisies de terres, déforestation, monocultures, auxquelles viennent s’ajouter la privation stratégique d’énergie exercée par des élites locales et globales pour subjuguer l’opposition sur le terrain. Le film Last Call at the Oasis (2011), qui examinait la crise mondiale de l’eau, avait passablement influencé mon œuvre et mon style documentaire.

LD : Vous avez tourné sur place à Gaza, en Colombie, et au cœur de l’Afrique. Avez-vous rencontré des difficultés dans ces endroits en tant que réalisatrice ?

AM : C’est sûr qu’à certains moments, des intervenants ont tenté de me court-circuiter en s’adressant à mon cinématographe ou à d’autres membres masculins de mon équipe. Cela présente toutefois des avantages : les militaires et autres acteurs de schémas d’oppression se méfient moins lorsqu’ils ont une femme devant eux. Ils baissent leur garde et révèlent alors plus facilement leur vraie nature à la caméra. Et n’oublions pas que bon nombre d’entre eux trouvent justifiée, par ignorance ou conditionnement, la répression qu’ils exercent sur les groupes plus vulnérables.

LD : Au tout début du Pouvoir de demain, le courant coupe soudainement en pleine chirurgie dans un hôpital de Gaza. Comment avez-vous réussi à capter cette scène-choc ?

AM : En fait, le courant à Gaza ne fonctionne que quatre heures par jour en moyenne et est souvent interrompu selon un horaire relativement prévisible. Cela fait partie de la stratégie employée par l’administration locale pour maintenir la population gazaouie littéralement dans le noir et solliciter plus d’aide de la communauté internationale. Sans être une mise en scène, c’était tout de même un événement prévisible.

LD : Quel parcours personnel vous a emmené à faire des documentaires engagés ?

AM : Pendant mes études universitaires à Ottawa, j’ai participé au « Squat de Sept ans », une occupation populaire d’un immeuble privé laissé à l’abandon, où je m’étais d’ailleurs fait arrêter en 2002. Sept ans : c’était la durée moyenne d’attente pour obtenir un logement abordable, et c’est aussi la durée pendant laquelle cet immeuble était resté à l’abandon avant notre occupation. À cette époque, j’étais déjà « fichée » à cause de mon premier film Myths For Profit sorti l’année précédente. J’ai regretté un peu de ne pas avoir employé un pseudonyme pour réaliser ce film, qui traitait du rôle du Canada dans le commerce mondial de l’armement, un sujet qui s’avère plutôt sensible. Plusieurs intervenants avaient refusé de me parler, et avaient fui ma caméra après la sortie de ce film choc. Au sommet du G20 à Toronto en 2010, j’avais aussi sonné l’alarme quant au traitement réservé aux manifestantes séquestrées, particulièrement les agressions ou l’intimidation de nature sexuelle subie par certaines d’entre elles.

LD : Après Le Pouvoir de demain, quel autre projet préparez-vous ?

AM : Je veux mettre au grand jour le complexe militaire-industriel et sa contribution au chaos climatique global ; une étude de l’empreinte environnementale gigantesque de la machine de guerre transnationale. À la différence de mes plus récents films, tournés entièrement à l’étranger et sous-titrés par la suite, celui-ci sera réalisé en anglais. Je le veux punché, sexy et provoquant ! 


Articles en lien