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Entretien avec Robert « Robo » Murray

L’Airsoft, une pratique méconnue mais sur l’ascendant : Robert Murray vous en explique les réalités et vous débarasse de vos préjugés.

Robert Murray

Le Délit a rencontré Robert Murray, un des pratiquants de l’Airsoft les plus connus au Canada, grâce, entre autres, à son activité parallèle de Youtubeur. Nous vous avions présenté cette activité il y a quelques semaines, en sa qualité « d’expérience ludique de la vie militaire ». Murray partage avec vous sa conception de l’Airsoft, quelques réflexions sur la situation actuelle de cette pratique au Canada et sur la possibilité d’une professionnalisation de l’Airsoft au futur.


Le Délit (LD): Pour la communauté participant aux nombreux événements, l’Airsoft est un jeu. Toutefois, beaucoup de non-joueurs jugent ce jeu comme étant violent et incitant à la guerre. D’un point de vue professionnel, qu’en pensez-vous ? 

Robert Murray (RM) : Selon moi, le problème n’est pas en lien avec l’Airsoft, mais plutôt avec les préjugés que la société attribue à des activités comme le paintball ou l’Airsoft. Vous avez raison : l’Airsoft et le paintball (bien qu’à de faible degrés) sont des représentations d’activités que la société considère comme étant « violents ». Par contre, la chose importante à retenir est que la violence est commune dans les sports populaires ou les autres formes de divertissements, ce qui nous pousse à nous demander : pourquoi l’Airsoft serait différent ? 

L’Airsoft reproduit volontairement la guerre, des armes, et des situations que nous, en tant que citoyen, reconnaissons comme étant violentes. L’activité est entièrement basée sur ces concepts, la rendant donc violente. Par contre, si vous regardez de plus près des activités comme le football Américain ou le hockey, vous y trouverez des exemples de violence. De vrais exemples de violences physiques. Pour la plupart, ces actes font partie intégrante de ces sports même si le but du jeu ne consiste qu’à déplacer un objet d’un bout à l’autre du terrain de jeu. C’est ce qui rend les notion de sport et de violence biaisées : nous acceptons la violence sportive puisqu’elle fait « partie du jeu », et qu’elle ne se rapproche pas visuellement d’une représentation de la guerre . L’ironie est que sur le terrain de jeu, de ma vaste expérience, personne ne désire faire de mal aux autres. La plupart du temps, tout le monde termine la journée heureux et entre amis. Par contraste, il y a plusieurs preuves qui montrent que les joueurs de football Américain ou de hockey sont trop souvent encouragés à blesser les joueurs des équipes adverses ou de laisser aller leur rage sur le terrain.

LD : Bien que la majorité des gens pensent que l’Airsoft fait la promotion de la violence, beaucoup croient que ce hobby a la possibilité de devenir un sport au même titre que le hockey ou le baseball. Avec une communauté grandissante et des réglementations différentes pour chaque organisation, croyez-vous que ce soit possible ?
RM : C’est toujours une question qui resurgit de temps à autre : est-ce que du Airsoft professionnel a la possibilité d’exister ? Pour vous dire la vérité, je n’ai pas de réponse. L’idéaliste en moi désire son existence : je suis quelqu’un de compétitif et j’adorerais mettre mes habilités sous forme de statistiques. Le réaliste en moi, toutefois, croit que tant que nous n’avons pas une façon efficace, bon marché, et consistante de compter les points, l’Airsoft professionnel ne peut pas exister.
Ultimement, c’est un problème relié à l’individu même : si tout le monde pouvait être juste et honnête quand ils se font toucher, ce sport pourrait exister dès demain. Malheureusement, la tricherie et la malhonnêteté sont une plaie qui existe dans le jeu malgré le fait qu’il n’y ait rien d’important en jeu. Il ne faut pourtant pas croire qu’il n’y a pas de forme de compétition dans l’Airsoft : les compétitions de tir sur cible existent, et c’est le seul endroit où il est possible d’avoir une forme de profession : cela demeure honnête puisque le seul compétiteur est soi-même.

LD : Comparativement au Canada, les organisateurs états-uniens proposent une expérience de jeu dont la qualité dépasse largement ce que nous pouvons voir localement, je pense notamment à Milsimwest et à American Milsim. Pourquoi croyez-vous que de tels événements soient possibles aux États-Unis, et non au Canada. Est-ce un problème de popularité ? De lois ?
RM : Ce sont en fait ces deux points que vous avez soulevé qui sont à l’origine de cette problématique, mais avec une zone grise. Ce n’est pas vraiment un problème de popularité si l’on calcule la popularité par capita : c’est un problème de densité de population. Les États-Unis ont une population approximative de 319 million d’habitant, alors que le Canada n’en compte que près de 35 million éparpillé un peu partout sans avoir une grande concentration de population.

Si nous mettons la situation en perspective, l’état de Californie compte près de 38 million d’habitants, soit 3 million de plus que toutes les provinces du Canada réunies. C’est une de ces raisons pour lesquelles la Californie, en plus d’être un état clé dans l’exportation de biens à travers le monde, est le centre des activités reliés au Airsoft en Amérique du nord.

Alors, même si au Canada il y a un intérêt élevé pour ce hobby, l’éparpillement de la population crée des poches de vide dans certaines communautés. L’autre problème est que, en comparaison avec les Etats-Unis, les joueurs ont là-bas accès à une multitude de sites et de terrains de jeux dits « premium ». Les lois aux États-Unis permettent l’accès au public à, par exemple, des bases militaires désaffectées. Alors qu’au Canada, bien que de tel endroits existent et soient abandonnés, le gouvernement y refuse l’accès au public.

LD : Quel est votre intérêt personnel par rapport à l’Airsoft ?
RM : Mon intérêt pour l’Airsoft a débuté lorsque j’étais enfant : je me passionnais pour la sécurité civile et la simulation tactique. J’ai choisi une autre orientation professionnelle, mais j’ai toujours maintenu une passion, tant pour la sécurité civile que pour la simulation. C’est après mes études universitaires que j’ai pris pour hobby l’Airsoft, me permettant de mélanger les deux passions mentionnées plus tôt ainsi que de me garder physiquement en forme. 

LD : Pour la plupart des joueurs, l’Airsoft est un passe-temps, un hobby de fin de semaine. Dans votre cas, vous avez fait du hobby une carrière : vous êtes commandité par de grandes entreprises et vous développez votre propre gamme de produits. Comment en êtes-vous arrivé là ?
RM : Soyons clair : je ne suis pas payé pour jouer à l’Airsoft, alors je ne peux pas réellement considérer mes activités comme étant une carrière à proprement dire : j’ai un emploi à temps plein comme tout le monde. Par contre, je fais de l’Airsoft un hobby à temps plein, et passe la plus grande partie de mon temps libre à participer ou à produire du contenu pour l’industrie de l’Airsoft et pour la communauté.

Comment tout cela est arrivé ? Par un mélange de hasards et de dur labeur. En 2010, je faisais du montage vidéo pour mon ancienne équipe et je publiais régulièrement des photos sur Instagram. Tranquillement, de plus en plus de personnes commencèrent à me suivre sur les réseaux sociaux et je voulais m’investir davantage dans la communauté, c’est alors que je suis entré en contact avec les figures dominantes de l’industrie. Plusieurs de ces figures devinrent mes mentors et m’apprirent à utiliser efficacement les réseaux sociaux et la plateforme qu’est YouTube.

La chance et la sociabilité valent pour beaucoup dans mon cheminement, mais si je pouvais exprimer une façon de faire en une phrase simple, je dirais : établissez-vous un but, trouvez ce dont vous avez besoin pour y arriver, et puis faite ce que vous aurez trouvé sans arrêt jusqu’à ce que vous y arriviez. 

LD : Malgré la « carrière », avez-vous toujours autant de plaisir dans le jeu ?
RM : Le plaisir est le même que lorsque j’ai commencé ! Personnellement, je ferais le même contenu que je publie sur les réseaux sociaux même si je n’étais pas commandité : je faisais tout cela bien avant mes partenariats avec les entreprises. Y‑a-t-il des jours où je ne suis pas aussi motivé de travailler sur du contenu ou d’aller jouer ?
Certainement, mais c’est comme cela pour n’importe quelle passion. Plusieurs peuvent se sentir écrasé par leurs responsabilités et se sentir obligé de publier du contenu régulièrement, la passion devenant alors un  travail. Pour moi, bien que je prenne le jeu au sérieux et que cela occupe une grande partie de ma vie, je n’en fais pas un boulet et des chaînes. C’est une activité créée pour être appréciée et peu importent les responsabilités que l’on y gère. 

LD : Une question qui revient souvent dans l’industrie de l’Airsoft est la place que devrait avoir les enfants dans l’industrie. Par rapport à ce que nous nous sommes dit plus tôt en lien avec la promotion de la violence et de la guerre, que pensez-vous de cette situation ?
RM : Bien que ce soit, du moins pour moi, une question à laquelle il est simple de répondre, c’est un sujet qui, en réalité, est difficile d’approche, principalement dû aux faits que j’ai illustrés précédemment sur ce que l’Airsoft représente et tente de représenter. Il va y avoir des groupes qui trouveront que l’Airsoft est mauvais pour les enfants puisque c’est basé sur la reproduction d’un environnement de guerre et d’armement.

Afin de vous montrer pourquoi je trouve qu’il est simple de répondre à cette question, laissez-moi réfuter : est-ce la responsabilité de l’activité de paraître d’une façon ou d’une autre, ou est-ce au participant de savoir comment bien appliquer un contexte à une activité ? Certes, c’est un jeu qui ressemble à des combats d’arme à feu, mais il est important de rappeler que ce ne sont pas des armes à feu et ce n’est pas une zone de guerre : un film d’horreur présentant un monstre caché dans un lac ne peut pas être considéré comme étant un documentaire. Plus directement, le même contexte peut être appliqué à d’autres sports, comme de combat au corps à corps, ou de tir, peut être appliqué à l’Airsoft. L’Airsoft est une simulation de combat qui prend lieu dans un contexte de plaisir et se détache complètement d’une vrai situation militaire, au même titre que le tir-à-l’arc moderne se détache de la défense d’un château au XIIIe siècle. Malheureusement, ceux qui appliquent cette logique à cette activité perdent de vue les vastes bénéfices variées que ce hobby peut apporter à un individu en croissance. L’Airsoft étant basé sur des dynamiques d’équipes, les situations intenses, et la stratégie, un joueur développe des attributs qui lui sont bénéfiques, comme le travail d’équipe, l’entraînement physique, la coordination spatio-temporelle, et de l’initiative.

Selon moi, il existe peu d’activités qu’un individu peut prendre en tant que hobby qui lui développe autant de talents qui aident à devenir, non seulement un bon citoyen, mais aussi un bon sportif. Ultimement, si un parent est en mesure de bien expliquer le contexte du jeu et de rappeler que ce n’est pas une mise en situation réelle, mais bien une simulation, je ne vois pas comment l’aspect de la violence pourrait brimer le jeu, ni même la promouvoir. Pour ce qui est des jeunes enfants, la responsabilité revient aux parents.

LD : Être un joueur professionnel est dispendieux. Comme pour n’importe quel sport ou hobby, il est toujours favorable de s’équiper avec la meilleure qualité afin d’être le plus efficace possible sur le terrain de jeu. Comme dans le domaine du tir à l’arc, est-ce l’outil qui fait l’athlète ? Est-ce que l’investissement en vaut la peine ?
RM : Afin de répondre efficacement, laissez-moi diviser cette question afin de pouvoir appliquer certaines de ces affirmations dans leur contexte. L’homme versus la machine. C’est une question de tout temps : est-ce l’homme ou l’outil qui produit la performance ? Personnellement, je ne vois pas pourquoi c’est toujours une question : je crois qu’il existe suffisamment de preuves historiques qui prouvent qu’ultimement, c’est toujours l’homme qui définit le résultat.

L’outil ne permet que d’améliorer ou de créer cette performance. Une maxime circule dans le monde militaire qui dit : « le fusil est un outil : je suis l’arme ». Ceci étant dit, il existe un point où un athlète extrêmement talentueux peut, de fait, avoir un avantage considérable par l’utilisation d’un meilleur équipement.

Si un joueur est déjà le plus rapide, le plus intelligent, le plus stratégique, et le mieux entraîné sur le terrain, il sera une menace encore plus grande s’il est équipé avec le meilleur équipement. L’inverse est toutefois impossible. Un joueur sans réel entraînement, malgré son utilisation d’un meilleur équipement et d’un équipement haut de gamme ne saurait égaler le joueur professionnel. Est-ce que cela vaut la peine ? Tout dépend de la fréquence à laquelle vous jouez.
Si vous ne participez qu’à quelques événements par année, un équipement standard fera l’affaire. Par contre, si vous voyagez partout à travers l’Amérique du nord pour jouer dans des événements qui coûtent cher, alors investir dans un équipement qui sera fiable et performant vaudra la peine puisque vous investissez déjà autant dans vos déplacements. 

LD : Croyez-vous que la communauté grandissante de l’Airsoft est positive ou, au contraire, devrait-elle rester comme elle est présentement ?
RM : Positive et seulement positive ! – sans être sarcastique, j’ai moi aussi vu la mauvaise publicité que l’Airsoft, et plus spécifiquement sa communauté de joueurs, reçoit de la part des médias, et quelques-uns de ces « mauvais » joueurs existent dû à cette expansion rapide que connaît le hobby. Par contre, cela ne veut pas dire que l’expansion d’une industrie est mauvaise et ne devrait pas être supporté, au contraire. Le fait est que, plus il y a de participants dans une activité, plus elle se répand un peu partout, un plus grand pourcentage de personnes peuvent participer à ces activités.

En soit, il y a beaucoup d’êtres humains exécrables dans le monde, et plus une activité est grandissante, plus il y a de risques que ces individus prennent part à ses événements. Cela dit, mon affirmation revient à parler d’un aspect de la nature humaine, et non de l’Airsoft en général. Peu importe ce que vous faites, il est impossible d’échapper à ce phénomène tant et aussi longtemps qu’il y aura des êtres humains impliqués dans une activité. Le fait est que, plus l’industrie grandit, plus le nombre de magasins, de terrains, de manufactures, de joueurs, et d’emplois peuvent exister.

Pour résumer, l’industrie grandissante fait en sorte que l’activité-même devient davantage publique, faisant en sorte que le citoyen moyen y devient accommodé et insensible, l’acceptant comme étant l’activité qu’elle est. En encourageant cette expansion de l’industrie, nous assurons qu’elle survive et de fait, nous pouvons continuer à apprécier le support constant de la communauté pour un passe-temps et un hobby aussi divertissant et amusant. 

LD : Un mot pour conclure M. Murray ?
RM : Certainement ! Alors comme je dis toujours, continuez à jouer à l’Airsoft, continuez à avoir du plaisir, à être de bons membres de la communauté : défendez ce que vous aimez.

Propos recueillis et traduits de l’anglais par Vincent Morréale


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