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La hiérarchie du savoir, ou son monopole…

Une discussion autour des différences entre les productions académiques occidentales et africaines. 

Charlie

Samedi le 6 février, devant une foule d’une cinquantaine de personnes, au Players’ Theatre, à l’AÉUM, a eu lieu la conférence « Degrés de séparation : problématisation de la production de connaissance hiérarchisée dans les institutions de savoirs supérieures » (Degrees of separation : problematizing Hierarchies of knowledge production in institutes of higher education, ndlr), sous forme de discussion orientée entre trois panelistes. Si le thème initial a bel et bien été respecté, le manque de temps ainsi qu’une incertitude quant à la formule à adopter auront fait de la rencontre quelque chose de plus ou moins linéaire, mais passons.

Des invités de marque 

Chaque panéliste était invité à se présenter brièvement. S’il est certain que leurs assises intellectuelles étaient imposantes, l’orientation idéologique de chacun y fut d’entrée de jeu précisée. Premier des trois à prendre la parole, docteur Mwenda Ntarandwi, est un auteur prolifique dans le domaine. Son approche avait de quoi marquer l’imaginaire par sa simplicité et sa lucidité : la production de savoir est l’art de raconter les choses et son rôle, en tant qu’anthropologue, est de prendre en considération toutes les histoires. Deuxième invitée, Marieme S. Lo insistait sur son parcours atypique qui l’aura mené du Sénégal, à la Sorbonne et à Toronto dans des visées diverses (philosophie, mathématiques, études féministes, etc.). Finalement, MASS (McGill African Students Society, ndlr) avait aussi invité le professeur John Galaty, enseignant à McGill et seul non-africain du groupe. Son introduction s’est faite sous l’insigne d’une double volonté, combattre le pessimisme occidental envers l’Afrique et, du coup, en humaniser les populations pour combattre les lieux communs souvent propagés par les médias de l’ouest.

Charlie

Une hiérarchie à repenser

Jackie Bagwiza, à la fois étudiante au cycle supérieur à McGill et organisatrice de l’événement, a lancé la discussion avec une question à large portée concernant les différents visages de l’Afrique. On y voyait une volonté de ne pas considérer l’Afrique comme un continent homogène, mais plutôt un territoire aux spécificités culturelles presque indénombrables, tout en respectant une vue d’ensemble très large sur le sujet. Les commentaires — parce que personne n’était là pour prétendre apporter de vérités — de Mwenda Ntarandwi furent particulièrement pertinents. Il notait qu’en Occident une grande majorité des manuels scolaires utilisés au sujet de l’Afrique, et ce à l’université, sont écrits par des occidentaux. D’où son conseil lancé et plusieurs fois répété que les étudiants devraient faire pression sur leurs professeurs pour utiliser les « histoires » écrites par des auteurs natifs des pays à l’étude. Un geste qui tend à ne pas donner l’autorité à l’occident et qui légitime les institutions à l’extérieur de l’Amérique du Nord et de l’Europe. En poussant la dialectique des conférenciers plus loin : nous viendrait-il à l’idée d’acheter une histoire québécoise écrite par un sénégalais ? L’expert sur le Sénégal, c’est nécessairement le Sénégalais.

D’une approche plus philosophique, Marieme S. Lo s’est empressée de se distancer des approches positivistes qui prétendent pouvoir étudier un phénomène, notamment les sociétés africaines, comme des entités mathématiques dénombrables et analysables à froid sans considération réelle pour les humains derrières les statistiques. Ainsi, parler de l’Afrique à distance est un non-sens puisqu’en parler nous lie à elle. D’où l’importance pour des anthropologues ou des sociologues de regarder les humains et non les nombres. 

De par son identité américaine, mais aussi son statut intellectuel, John Galaty procédait par questionnements plus qu’autrement : « Sommes nous déterminés par notre identité ?», « Est-ce que la recherche peut être une forme d’appropriation culturelle ?» Dans un contexte de recherches en sol africain, on imagine le poids de telles questions, mais aussi l’importance de les garder à l’esprit. Ainsi, la conférence s’est d’elle-même orientée vers des questions de méthodes et de légitimation de recherches académiques faites sur l’Afrique. Une élève en études africaines à McGill, dans la période de question, a concrétisé l’importance de telles préoccupations par le désir de voir dans son programme (voire dans toute l’université) une plus grande représentation africaine dans le corps professoral. Sans conclusion officielle, l’événement était une occasion privilégiée pour se reconsidérer en tant qu’étudiant dans le monde et s’ouvrir les yeux sur des problématiques importantes du domaine académique qui n’apparaissent pas toujours aux non-initiés.


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