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Briser le monopole de la subjectivité

Cette semaine, McGill célèbre son Indigenous Awareness Week (Semaine de sensibilisation aux cultures autochtones, en français), censée donner une voix aux personnes autochtones, et enrichir les connaissances de la population mcgilloise sur les affaires autochtones au Canada. De nombreux événements intéressants ont été organisés comme un pow wow, un concert de musique traditionnelle ou encore des conférences sur les problèmes juridiques et politiques des communautés autochtones et le racisme dans le système de santé et l’éducation.

Cette semaine est une étape cruciale pour pallier le manque de visibilité et de représentation des personnes issues de communautés autochtones au Québec. Les partis politiques en lice pour l’élection provinciale du 1er octobre manquent sensiblement de diversité : les Autochtones y sont très peu représenté·e·s. Québec solidaire, après avoir investi Alisha Tukkiapik, une Inuk, dans Ungava, est le seul parti à présenter un·e candidat·e autochtone. Cette situation ne surprend aucunement puisqu’un seul Autochtone a été élu au Québec depuis 1969, année où il·elle·s ont obtenu le droit de vote. 

À McGill, même constat : les personnes issues de communautés autochtones sont presque invisibles. Pourtant, selon le recensement de la population de 2016 concernant les Premières Nations, les Métis et les Inuits de Statistique Canada, près de 9,5 % de la population autochtone vit au Québec, ce qui constitue aujourd’hui environ 2,2 % de la population québécoise. Aussi, les Autochtones sont notoirement plus jeunes que la majorité non autochtone et — notamment grâce à l’augmentation du nombre d’auto-identification — la population autochtone a augmenté de 42,5 % depuis 2006, ce qui représente plus de quatre fois le taux de croissance de la population non autochtone au cours de la même période. Après de nombreuses demandes, l’administration s’est engagée à prendre les 52 mesures recommandées par le rapport final du groupe de travail du vice-principal exécutif sur les études et l’éducation autochtones en juin 2017. Depuis, nous n’avons aucune information sur la mise en place concrète des mesures de ce « projet d’autochtonisation et de décolonisation », dont Kakwiranó:ron Cook est responsable. 

L’idée de représentation implique que l’objet re-présenté soit déjà présent. L’une des difficultés semble être là : il s’agit de représenter un sujet qui est réduit à l’état d’objet dans l’acte-même de la représentation. Lorsque l’on pense à la représentation des Autochtones, aussi bien sur le campus que dans les partis politiques, c’est bien cette subjectivité-là qu’on leur ôte. On traite depuis des centaines d’années les Premières Nations comme un seul bien meuble, auquel on ne devrait rien, et envers qui l’ouverture est vue comme un acte de bonté et de bienveillance. Les Nations occupent le territoire depuis des millénaires, et souffrent non seulement de notre entêtement, mais surtout de nos destructions environnementales. Il est plus que temps de laisser les Premières Nations s’exprimer tout en ayant notre attention collective et  notre respect, et d’encourager le repli des gouvernements face à leurs droits ancestraux. 

Bien sûr, les partis politiques et les institutions doivent ouvrir leurs portes et prendre des mesures pour intégrer plus d’Autochtones. Il s’agit de leur permettre d’avoir un lieu d’où ils et elles peuvent représenter leur communauté : rendre présentes au sein des institutions québécoise les problématiques si particulières et complexes qui les touchent. Faciliter et encourager la participation des Autochtones aux élections, aussi bien du côté des électeur·rice·s, que des éligibles est donc essentiel pour leur rendre la subjectivité qu’on a niée au cours de l’histoire de la colonisation. Agir pour augmenter la présence d’élèves issu·e·s de communautés autochtones à McGill et dans les autres universités participe aussi de ce mouvement, puisque cela permettrait de mieux répartir au sein de la population québécoise les outils précieux que l’éducation peut offrir aux citoyen·ne·s.

Pourtant, rendre aux Autochtones leur subjectivité, c’est aussi reconnaître et accepter qu’ils et elles portent un regard critique sur les non autochtones. Flou derrière nos bonnes intentions se cache un vieux réflexe souvent inconscient : celui de se penser invisible aux yeux des personnes discriminées, d’oublier qu’elles voient et analysent ceux et celles qui les discriminent et, par-là, de nier leur subjectivité. 

Lorsque l’on aimerait voir plus d’Autochtones sur les bancs de McGill et de l’Assemblée, se demande-t-on s’il·elle·s en ont envie ? Reconnaissons-nous la possibilité que nos modèles ne soient pas les leurs ? Il semble que se poser ces questions nuancerait l’analyse que l’on fait de la situation : agir pour que les Autochtones soient intégré·e·s doit passer par un questionnement d’abord de leur volonté d’être intégré·e·s et ensuite de nos modèles de société actuels. La manière dont l’éducation et la politique s’organisent sans les Autochtones correspond-elle à leur vision ? 

Il est indiqué dans l’article « Les Autochtones, les oubliés des partis politiques québécois » du Devoir, qu’ « au-delà des questions démographiques et du « peu d’efforts [fournis par les] partis » en matière d’intégration, les Autochtones ne sont pas forcément enclins à participer à la politique provinciale pour des raisons idéologiques ». Intégrer les partis politiques peut être perçu comme une manière d’adhérer au modèle gouvernemental et d’accepter « l’ingérence » du gouvernement provincial sur les territoires autochtones. 

Il semble que nous persistons à reproduire un modèle d’assimilation qui a été par le passé profondément contre-productif et qu’il est urgent de dépasser. Se rappeler que l’Autre nous voit est essentiel afin qu’il soit vu. 


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