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Traduire le Black Feminism : indispensable ?

Une conférence centrée sur l’expérience des femmes noires francophones.

Mahaut Engérant

Dans le cadre de la publication de la traduction francophone de Ne suis-je pas une femme -— de bell hooks, intellectuelle, féministe et militante américaine —, Dre Stéphane Martelly, Leïla Benhadjoudja et Amandine Gay ont mis en place une table ronde intitulée « La traduction du Black Feminism dans les contextes francophones », ce samedi 30 janvier à la Centrale.

La discussion a eu pour but de questionner la pertinence du black feminism (féminisme noir, ndlr) des États-Unis dans les milieux francophones, que ce soit en France, au Canada ou à Haïti. Amandine Gay, comédienne française arrivée au Québec en juillet 2015, anime et introduit la conférence. Tout en retraçant son parcours en tant que femme noire en France, elle détaille l’importance qu’ont pu avoir les œuvres d’auteurs comme bell hooks (dont le nom s’écrit sans majuscule selon sa propre volonté, ndlr) dans sa vie et celles d’autres femmes noires. Or, cette littérature est presque exclusivement anglophone et seuls les textes les moins politiques sont traduits en français. Ainsi, en citant bell hooks, Amandine Gay raconte pourquoi les traduire est d’une importance primordiale, pour des questions d’accessibilité et d’émancipation.

Mahaut Engérant

Réappropriation de la parole et des vécus

Dre Stéphane Martelly, originaire de Haïti, raconte son contact tardif avec le black feminism. Son discours s’articule principalement autour de la nécessité de se réapproprier la parole et les espaces. En effet, trop souvent les expériences des femmes noires (si elles sont mentionnées) sont analysées et rendues visibles par des individus extérieurs à leurs communautés (ex : universitaires, politiques). Ils projettent ainsi une vision de leurs vécus qui se veut « objective » mais est en réalité biaisée, erronée, voire même nuisible quand ces visions sont imprégnées de représentations racistes et sexistes. Dès lors, Dre Martelly trouve en bell hooks une juste articulation de deux phénomènes qui, séparés l’un de l’autre, ne lui parlaient pas : le racisme et le féminisme. 

De plus, elle estime qu’un féminisme noir haïtien est nécessaire et n’a pas à s’adresser à une majorité blanche, mais plutôt à articuler la conception d’une communauté noire qui doit construire la nation. Cette conception passe également par la réappropriation de la parole et la nécessité de rester propriétaire de son récit. C’est une réappropriation qui se fait en continu. Le terme de « mouvance » ressort beaucoup dans son propos : mouvance continue du travail de bell hooks, mouvance au sein de la communauté, mouvance perpétuée par la préface d’Amandine Gay.

Leïla Benhadjoudja, de son côté, arrivée d’Algérie au Québec à l’âge de quinze ans, évoque plus particulièrement l’amour de soi, l’amour de sa communauté, sujets qu’elle retrouve évoqués chez bell hooks. Ce qu’elle mentionne aussi du travail de l’auteure, c’est son accessibilité : comment bell hooks est allée au-delà de l’intellectualisme et de l’universitaire pour s’adresser à tous. Au-delà de cela, Leïla Benhadjoudja questionne l’usage de la langue. Venant d’un pays colonisé, elle reconnaît qu’il est difficile de se réapproprier une langue d’oppression. Mais elle précise, citant Kateb Yacine, écrivain algérien, que cette langue devient un butin de guerre et qu’elle lui permet de lancer un appel de sororité et de solidarité.

Une conférence conclue dans la solidarité

Le débat avec la salle, qui clôt la conférence, permet une ouverture de la parole. Amandine Gay propose que ce débat soit avant tout pour ceux et celles dont la parole est la plus invisible dans l’espace public. Elle suggère ainsi à l’auditoire de réfléchir à sa position sociale avant de venir poser une question. S’ensuit un florilège de femmes noires qui montrent leur travail, questionnent leurs identités et s’interrogent sur le travail intracommunautaire qui peut être accompli. Ces questions de l’auditoire apportent la conclusion désirée par les panélistes de la conférence : la nécessité qu’il y a pour ces femmes noires francophones d’être solidaires et de se créer des espaces sécurisés. 


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