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Coup de vieux chez les classiques

L’Otello de Verdi à l’Opéra de Montréal : un succès prémâché ?

Yves Renaud

En vendant ses billets à plus de 100$ la pièce, l’Opéra de Montréal ne paraît guère être l’institution culturelle la moins élitiste de notre chère métropole. Ce n’est pourtant pas faute d’afficher une réelle volonté de « démocratiser » l’opéra, laquelle se reflète par le biais de projets pédagogiques visant à familiariser des élèves issus de milieux défaavorisés avec cette forme d’art (CoOpéra), ou encore à travers certains événements comme les ateliers lyriques, offerts à prix réduits. Il semblerait que cette politique de démocratisation se reflète jusque dans le choix des œuvres à l’affiche. C’est pourquoi les programmations tendent à regrouper quelques titres « classiques » dont le sujet ou le nom du compositeur suffisent à leur assurer le succès, aux côtés de spectacles moins connus.

Il suffit de jeter un coup d’œil aux programmes des dernières années pour y voir se profiler ce modèle d’affaire. Si des compositeurs comme Puccini (Madama Butterfly en 2015, Turandot en 2014) et Verdi (Nabucco en 2014, La Traviata en 2012) demeurent des favoris, il n’est pas rare de se voir profiler des noms qui demeurent mal connus au-delà d’un cercle d’initiés, tels que Puts (Silent Night, 2015), Humperdinck (Hänsel et Gretel, 2014) et Heggie (Dead Man Walking, 2013). Cette année, cette tendance culmine, pour ainsi dire, sur la première mondiale de Feluettes, issue d’une collaboration entre le dramaturge québécois Michel Marc Bouchard et du compositeur australien Kevin March. Grâce à ce spectacle, l’Opéra de Montréal semble définitivement vouloir sortir de sa zone de confort.       On ne peut donc pas reprocher à cette institution d’éviter de prendre des risques afin d’augmenter ses chances de rentabiliser des spectacles qui se révèlent d’ordinaire plus coûteux à mettre en place, disons, qu’une pièce de théâtre.

Yves Renaud

Revers  traditionnel

Cela dit, on ne peut s’empêcher de songer que si cette production de l’Otello de Verdi laisse le spectateur sur sa faim, c’est précisément en raison des aspects traditionnels sur lesquels mise l’Opéra de Montréal pour financer des projets plus osés. Certes, a priori, il n’y a rien de conventionnel à mettre en place un classique plutôt qu’une œuvre contemporaine, comme en témoigne la mise en scène de Pelléas et Mélisande par Christian Lapointe jouée présentement de l’autre côté de la rue, au Théâtre du Nouveau Monde. Il n’en demeure pas moins que le premier danger auquel s’expose un spectacle qui choisit de maintenir un registre tragique sans mêler celui-ci à une touche d’ironie ou d’autodérision, consiste peut-être à se prendre un peu trop au sérieux. 

Sur le plan esthétique, rien à redire : la mise en scène assumait une dimension spectaculaire qui répondait de manière adéquate au désir d’être émerveillé aussi bien par la vue que par l’ouïe. Le recours à un grand nombre de figurants pour les scènes de groupes, ainsi que l’utilisation savante du clair-obscur dans les éclairages, parvenaient même à recréer une atmosphère d’époque qui rappelait les tableaux du Caravage, ce peintre italien de la fin du XVIe siècle célèbre pour son « naturalisme ». À cet égard, le choix de combiner des costumes de la Renaissance à des décors réalistes visant à recréer les lieux où se déroulait l’action (chambre à coucher, port, etc.) était approprié.

Cependant, l’impatience manifestée par les spectateurs face à des scènes comme l’Ave Maria que chante Desdemona tout en sachant qu’Otello a l’intention de la tuer injustement, s’explique par l’absence de distance ironique qui se dégage des interprétations. Heureusement, la superbe performance du baryton Aris Argiris, qui fait ses débuts à la compagnie dans le rôle de Iago, est parvenue tant bien que mal à introduire une touche d’humour indispensable au sein de cette production. Dommage qu’Otello apparaisse autrement trop convenu pour s’avérer mémorable.


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