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« Un verre ! » dit Falstaff

Verdi s’allie à Shakespeare pour son dernier opéra, une comédie lyrique.

Yves Renaud

Les choses qui font rire n’ont pas beaucoup changé depuis la création de Falstaff au Teatro Alla Scala de Milan le 9 février 1893. Opéra en trois actes de Giuseppe Verdi, Falstaff est inspiré des Joyeuses Commères de Windsor de Shakespeare, qui se déroule sous le règne d’Henri IV en Angleterre. La drague, la boisson et cocufier son prochain, ressorts comiques indémodables, sont à l’honneur. La première action de Falstaff est d’ailleurs de commander une nouvelle bouteille de xérès à l’aubergiste. Le spectateur comprend tout de suite qu’il n’est pas là pour être ému ou écrasé par la puissance de l’orchestre, mais bien pour s’amuser des bouffonneries de Falstaff.

L’intrigue peut paraître triviale : Falstaff, Lord anglais à court d’argent, envoie deux lettres d’amour identiques aux deux femmes mariées les plus riches de la ville. Découvrant la supercherie, elles décident de se venger en l’humiliant. S’enchaînent donc des situations cocasses : Falstaff, caché dans un panier à linge, est jeté dans une rivière, et finit par porter pour la scène finale deux immenses bois de cerf, symboles démesurés du cocu.

Tout le monde en prend pour son grade grâce au livret satyrique d’Arrigo Boito, et les hommes sont réduits à n’être que des outils dont les « commères » se jouent pour arriver à leurs fins. Cela n’empêche pas l’opéra de Verdi d’être bien plus qu’une simple comédie. Falstaff, vieux, ivrogne, bedonnant est un personnage principal impensable pour un opéra classique. Verdi, âgé, et déjà érigé au rang des plus grands compositeurs italiens de la deuxième moitié du 19e siècle, se moque des conventions et renouvelle ce qu’il est possible de représenter lors d’un opéra.

Falstaff ne cherche pas à impressionner le spectateur, mais avant tout à le divertir et cela, la production de l’Opéra de Montréal, mise en scène par David Gately, l’a parfaitement saisi. Les décors sont minimalistes, les costumes sobres et d’époque. Toute l’emphase est mise sur le jeu des acteurs qui se montent sur le dos, boivent, s’embrassent et se battent à coups de balais, tout cela rythmé par une orchestration discrète qui ne s’élève jamais au-dessus du chant des acteurs. Un ensemble excellent qui à l’air de s’amuser à jouer tout autant que le spectateur à les regarder.

L’opéra ne comporte aucun morceau de bravoure. Il n’y a pas un moment plus mémorable qu’un autre, tout à l’air d’être fait pour obtenir un résultat fluide. L’orchestre et les acteurs sont en symbiose tout au long de la représentation. Et c’est là le seul défaut de la mise en scène : les trois minutes d’attente entre chaque changement de décor nuisent à la fluidité de l’ensemble. Mais elles donnent au spectateur l’occasion de reprendre son souffle entre deux éclats de rire. Et rire, les spectateurs montréalais n’ont pu s’en empêcher tout au long de la représentation, ce qui constitue un excellent baromètre du succès de l’opéra.

« Tout dans le monde n’est que plaisanterie », chantent en chœur les personnages en clôture de l’opéra, après avoir poussé Falstaff à avouer ses méfaits. Tout est drôle qui finit bien et Falstaff accepte de bon cœur l’invitation à dîner de ceux qu’il a voulu tromper. Falstaff est une production qui brille dans son ensemble et par son ensemble.


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