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Avant-gardisme au TNM

Pelléas et Mélisande : une vision éclatée d’un Moyen-Âge imaginaire.

Yves Renaud

Pelléas et Mélisande : ces noms à consonance wagnérienne ne mentent pas. Ceux qui s’imagineraient une histoire d’amour impossible au dénouement tragique à la Tristan et Yseult ne seraient pas loin du compte. Mieux connu dans son adaptation lyrique par Claude Debussy (tout comme l’on connaît davantage Rigoletto que Le roi s’amuse), ce chef d’œuvre symboliste de Maeterlinck est parsemé de motifs médiévaux tels que la fée à la fontaine, la sérénade au balcon et un baiser interdit surpris en pleine forêt, ce qui ajoute fort à l’atmosphère de conte de fées qui se dégage déjà d’un texte que certains critiques n’ont pas hésité à qualifier de poème en prose. Il n’y a pas de doute : cette pièce, considérée à juste titre comme un classique de l’écriture dramaturgique, gagnerait à être mieux connue, ce qui justifie pleinement le choix de la représenter sur une scène aussi bien cotée que celle du Théâtre du Nouveau Monde.

Le choix d’un metteur en scène aussi avant-gardiste que l’est Christian Lapointe n’allait pourtant pas de soi. Il est vrai que sa production de La république du bonheur de Martin Crimp à la Cinquième Salle avait reçu un assez bon accueil critique l’année dernière, en dépit du fait que l’esthétique du ready-made n’est pas souvent mise à l’honneur à la Place des Arts. Cependant, rien ne laissait présager que c’était devant une salle comble que Sophie Desmarais (Mélisande) et Éric Robidoux (Pelléas) allaient s’échanger leurs déclarations d’amour dans une posture qui, le plus souvent, s’apparentait davantage à une récitation de poèmes plutôt qu’à l’interprétation d’un texte dramaturgique.

Ce qui faisait la particularité de cette mise en scène, c’est que la plupart des scènes combinaient des éléments visuels qui contribuaient à créer l’illusion théâtrale pour la démonter aussitôt. Cet effet anti-mimétique était introduit tantôt avec éclat et de façon humoristique, tantôt progressivement et, pour ainsi dire, sans qu’on ne s’en aperçoive.

Yves Renaud

Parmi les procédés les plus réussis prévus à cet égard, il convient de souligner l’incorporation de gros plans permettant d’observer les visages des acteurs pendant la performance, à des moments opportuns (par exemple lors de la première rencontre de Pelléas et de Mélisande), de même que le recours à une maquette projetée à l’écran pour simuler le décor seigneurial dans lequel évoluaient les personnages. En effet, ce choix contribuait à renforcer le brouillage temporel qui naissait de la juxtaposition, dans les costumes, des références au monde contemporain et à l’univers d’une série B inspirée de l’Europe médiévale – dans la mesure où l’esthétique « années vingt » de ces plans cinématographiques n’était pas sans rappeler des plans tirés des films d’Eisenstein ou de Fritz Lang.

Certains effets peuvent cependant semblaient moins réussis. Bien qu’il était cohérent — d’un point de vue esthétique — de faire jouer à tue-tête la trame sonore qui accompagne la dernière rencontre de Pelléas et de Mélisande afin de créer un effet de suspense culminant, il était néanmoins déplorable que l’intensification du volume sonore ne fût pas plus graduelle, afin d’éviter qu’on ne doive se boucher les oreilles pendant la dernière partie de leurs tirades.

Yves Renaud

Quelques hésitations nous défendent de qualifier de tels choix comme étant osés. Ces derniers n’étaient guère étonnants de la part d’un metteur en scène qui s’était proposé de lire l’œuvre complète d’Antonin Artaud dans le cadre du Festival Transamériques dans l’espoir de battre le record mondial de lecture en continu de 113 heures et 15 minutes, et à qui il a fallu pas moins de 57 heures et 36 minutes avant de déclarer forfait. Or, une performance semblable n’est pas sans créer quelques attentes de la part du public, auxquelles il n’est pas faux de prétendre que la mise en scène de Pelléas et Mélisande y a répondu, à de nombreux égards.


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