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Les avocats de la paix

Quand le Canada était le chef de file de la résolution de conflits, par Garry Beitel. 

À la poursuite de la paix

Diplômé de l’Université McGill en 1976, où il est aujourd’hui enseignant, le documentariste Garry Beitel présentera son nouveau film à l’occasion des Rencontres Internationales du Documentaire à Montréal (RIDM), la semaine prochaine. À la poursuite de la paix est un documentaire inspirant, dans lequel le réalisateur donne la parole à des professionnels en résolution de conflits et lutte contre la violence. Il nous emmène au Soudan du Sud, au Congo, et dans le nord de l’Irak, entre autres, pour nous montrer que conflit n’est pas seulement synonyme de violence, mais aussi de discussion, et que nous, citoyens occidentaux, avons aussi un rôle à jouer dans la promotion de la paix. Ce lundi après-midi, installé au café de la Cinémathèque Québécoise, Garry Beitel présente son œuvre au Délit.

Le Délit (LD): Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de faire un film sur ce sujet ?

Garry Beitel (GB): Une collègue de l’ONF (Office National du Film du Canada) m’avait suggéré de faire un documentaire sur la paix, ce qui était un peu trop large. J’ai cherché, dans l’Histoire, le rôle du Canada dans la défense de la paix, et j’ai trouvé qu’il avait été l’un des premiers à inventer ce métier, ce rôle de médiateur, et que de nombreux Canadiens avaient décidé de s’engager.

LD : On imagine que cela pourrait être mal vu : des Occidentaux qui viennent s’immiscer dans les conflits locaux… Avez-vous reçu un bon accueil dans votre démarche documentaire ?

GB : Nous avons été très bien reçus. Les gens ne voient pas les médiateurs comme des intrus, et ce n’est pas typique de la pensée occidentale de défendre la résolution pacifique des conflits. C’est plutôt des idées diffusées par Gandhi, Mandela, Martin Luther King. Et puis ces personnes qui viennent aider à la discussion n’arrivent pas là tout d’un coup, ils restent longtemps et travaillent progressivement avec les communautés. C’est un travail de longue haleine. Et ils sont joints par des médiateurs locaux, qui aident aussi à la discussion, comme UNHabitat au Congo. D’ailleurs, dans le film l’un d’eux dit  « j’ai une bonne nouvelle : nous avons un conflit ! », ce qui montre que le vrai problème n’est pas le conflit en lui même, mais l’utilisation de la violence, qui peut escalader très vite. Et d’ailleurs ça a explosé entre des villages qui se disputaient la terre. 

« J’ai une bonne nouvelle : nous avons un conflit ! »

LD : Combien de temps avez-vous passé avec ceux qui témoignent dans votre documentaire ? Pour vous aussi cela a dû être un travail de longue haleine.

GB : Je les connais depuis cinq ans, parce que je les ai contactés quand j’ai commencé ma recherche. On se parlait par courriel, Skype, ou par téléphone. Ensuite je suis allé les voir et je les ai suivis dans leur travail. Kye, l’éducateur, était au Népal quand il animait des groupes et des activités pour enseigner comment résoudre des conflits sans violence. Oumar, j’ai suivi son travail aussi, comme Tiffany au Soudan du Sud. Par contre, j’ai eu plus de mal avec Andrew parce que je ne pouvais pas suivre son travail, qui est secret. J’ai pu profiter de ses ressources d’images qu’il a accumulées pendant toutes ses années d’intervention.

LD : Vous indiquez au début du film le déclin du rôle du Canada dans la défense de la paix, surtout depuis les efforts du premier ministre Pearson. Parti du 1er rang, le Canada est aujourd’hui classé comme 68e membre des Nations Unies en tant que défenseur de la paix. Il a tendance à se ranger au côté des États-Unis dans l’intervention militaire. Est-ce que vous faites une piqure de rappel aux Canadiens, et même au nouveau gouvernment ?

GB : Oui, au gouvernement. Je pense que les Canadiens ne sont pas représentés dans ce qu’ils veulent. Ils ont, en quelque sorte, été faits prisonniers. On ne peut pas revenir dans le passé, le monde a changé, mais on pourrait utiliser un pourcent des milliards de dollars que l’on consacre aux complexes militaires, à la formation des gens, à leur apprendre la discussion pour éviter l’affrontement. Il y a un nouveau métier, qui existe, dans les universités canadiennes notamment, et qui consiste à enseigner cette abilité à résoudre un conflit par d’autres moyens que la violence. 

LD : C’est un message politique ça, non ?

GB : Ah oui, c’est un message politique ! Alors que les conflits ne veulent pas dire violence, qu’un conflit n’est pas un problème en soi, les gouvernments apportent encore plus de violence en intervenant de façon armée. Et ce n’est pas évident à comprendre. Quand on a tourné, on a assisté à des séances de discussions avec des gens qui ont vécu des choses horribles, et ce n’était pas facile pour eux de comprendre que la solution n’est pas de se venger, mais d’essayer de comprendre. Ça prend du temps, parce qu’ensuite, une fois qu’on a enfin rétabli une situation de paix, il faut la maintenir et surtout, apprendre aux gens à vivre de façon pacifique.

LD : Êtes vous pacfiste ?

GB : Oui et non. J’utiliserais la violence si on m’attaque personellement. Je pense qu’il faut pouvoir renvoyer l’attaque. Mais je pense qu’il ne faut pas utiliser la violence pour se venger si on ne comprend pas vraiment les conséquences et le contexte. 

LD : Votre film transmet un message important pour les jeunes. Quand sera-t-il accessible au public ?

GB : La première projection sera celle de samedi (le 14 novembre, ndlr) et du 21 novembre pour les RIDM. Sinon, il sortira dans les salles au printemps. 


Le film de Garry Beitel est innovant et encourageant dans la mesure où il se penche sur la solution plutôt que le problème. Au lieu de montrer la violence dans les pays en conflits, ou encore l’injustice de la victimisation des civils, le long-métrage fait parler ceux qui travaillent pour la paix. À la poursuite de la paix résonne comme la petite voix humaniste qui nous chuchote qu’on peut en faire plus. Celle-ci parviendra-t-elle à l’oreille de Justin Trudeau, lui ordonnant de s’inscrire dans la lignée de Lester Pearson ? 


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