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Justin Trudeau : premiers pas

Espaces Politiques.

Luce Engérant
Lauren Boorman

Le 19 octobre au matin, peu pouvaient prévoir avec assurance le résultat du scrutin. La seule certitude semblait être la formation d’un gouvernement minoritaire. L’enfant chéri de la dynastie Trudeau a fait oublier aux Québécois l’héritage controversé de son père et de son parti en se positionnant économiquement à gauche d’un NPD en recentrage et flanqué d’un chef —  Thomas Mulcair —  qui n’a suscité ni animosité, ni sympathie. Dans la mise en marché d’un produit politique, la première journée est d’une importance capitale. Il faut susciter l’enthousiasme de ceux qui ne nous ont pas appuyé. On doit incarner ouverture et détermination et, dans le cas spécifique de cette nouvelle législature, le changement. Mission accomplie pour notre jeune premier : en moins de 24 heures, au terme d’une mise en scène particulièrement efficace, Justin Trudeau a su cristalliser son image et installer solidement dans l’esprit collectif la réelle possibilité d’un Canada 2.0. Pendant que la presse et la télévision françaises dissertaient sur « Djeustine », un premier geste politique d’envergure fût posé : un coup de téléphone à Obama pour annoncer le retrait des F‑18 canadiens des opérations de frappes contre l’État Islamique en Syrie et en Irak. 

Les 1 460 autres jours

L’essentiel du règne Trudeau reste à venir. La carte de l’image lustrée et séduisante peut être jouée de deux façons : la première pour susciter un consensus écrasant lors du prochain scrutin. À cet égard, les attentes sont d’autant plus grandes que la barre est haute. Un véritable volte-face par rapport au Canada de Harper a été annoncé, et il est rare de voir un nouveau gouvernement agir de façon concrète et significative lorsque de grands changements sont promis. Les partis politiques qui arrivent en position de pouvoir se voient souvent liés à d’anciennes promesses, à devoir honorer des contrats et des engagements pris par la législature précédente et, conséquemment, à agir de façon beaucoup plus sobre et tempérée que ce que les envolées électorales avaient laissé espérer. Le second jeu que peut dévoiler Trudeau est celui de l’anesthésie des désillusions entraînées par un nouveau gouvernement qui dilue ses intentions jusqu’à ce qu’elles aient perdu toute saveur. Quoi qu’il en soit, si c’est le jeu de l’honnêteté et de l’authenticité qui est mis de l’avant, on peut d’ores et déjà parier sur une victoire écrasante de l’Équipe Trudeau en 2019, qui saura rallier au-delà des libéraux canadiens.

Les douze travaux

Les dossiers à surveiller sont nombreux. Globalement, on nous a promis un recentrage de l’image du Canada sur la scène internationale. On s’attend donc au retour d’un Canada vecteur de paix et d’aide humanitaire et à l’abandon de la tendance plus activement guerrière adoptée depuis près de dix ans par le gouvernement conservateur. Concrètement : l’abandon de l’achat des coûteux chasseurs F‑35 à la compagnie américaine Lockheed-Martin, la fin des frappes contre l’État Islamiqu et l’augmentation de l’aide humanitaire. Dans l’optique du retour d’une image plus consensuelle du Canada à l’international, on s’attend aussi à un nouveau Canada écolo. Les yeux seront tournés vers la COP21, qui débutera le 30 novembre à Paris. L’objectif de cette conférence mondiale sur les changements climatiques est ambitieux : « aboutir, pour la première fois, à un accord universel et contraignant permettant de lutter efficacement contre le dérèglement climatique et d’accélérer la transition vers des sociétés et des économies résilientes et sobres en carbone ». Une délégation canadienne agissant en leader à Paris serait une preuve intéressante de l’honnêteté du mandat Trudeau. Plus significative encore sera la façon avec laquelle le nouveau gouvernement négociera ses engagements environnementaux avec l’imposante et puissante industrie pétrolière albertaine. Se tiendra-t-il debout ? La liste des travaux est longue : réforme du sénat et évitement d’un potentiel gâchis constitutionnel, réinvestissement massif en culture et en science, revalorisation de CBC/Radio-Canada, affrontement d’une récession, légalisation de la marijuana… Autant de déceptions potentielles pour les Canadiens, autant d’occasions de triompher pour notre nouveau jeune premier.  Gageons que les prochaines années ne manqueront pas d’être fascinantes. 


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