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Comptabilité, niqab et patinage artistique

Le Délit fait son bilan des débats des chefs. 

La dernière ligne droite d’une longue campagne fédérale s’entame. À moins de deux semaines du vote, les électeurs ont eu droit au déploiement du grand théâtre électoral, orchestré par de discrets mais ô combien importants stratèges dont la créativité s’exprime en concentré à travers les trois débats des chefs. 

Rétrospective.

D’abord organisé par The Globe and Mail à Calgary, puis à Montréal par Radio-Canada et TVA, les trois grands débats des chefs ont, cette fois encore, soulevé tantôt lassitude, tantôt amusement, tantôt intérêt sincère du public canadien. La dynamique de la campagne induite par les nombreux sondages a déterminé la teneur et le ton de chacun des trois débats. D’un conventionnel qui annonçait 78 jours fort monotones marqués par une tenace tendance nationale à rejeter sans plus de questions le gouvernement Harper au profit de l’option néo-démocrate, la campagne s’est finalement dynamisée. Au coeur des débats de cette 42ème campagne fédérale, une gradation exceptionnelle dans l’intensité émotive suscitée par les thèmes abordés : économie, déficit zéro, récession, transport du pétrole, niqab, nids de poule mangeurs de voiture et déclaration d’amour de Justin Trudeau à Gilles Duceppe.

Passionnante comptabilité

Le citoyen ordinaire, ne sachant que dire, parle de météo. Le politicien typique, lui, parle de gestion de la comptabilité étatique et, lorsque le goût du risque s’empare de lui, d’économie. Le premier débat organisé par The Globe and Mail a placé messieurs Trudeau, Harper et Mulcair dans les espaces importants et connus de l’économie et des finances publiques. Harper, sur ce terrain, partait avec une longueur d’avance en n’ayant qu’à défendre un bilan faisant honneur à ses engagements électoraux d’équilibre budgétaire et de baisses de taxes et d’impôts. La seule attaque possible contre son gouvernement doit se faire en soulignant l’inexactitude de sa prétention d’être arrivé à ses fins « sans couper dans les services publics », alors que Radio-Canada/CBC peine à survivre et que moult services scientifiques canadiens sont passés au tordeur budgétaire. 

Pour le reste, des positions claires furent énoncées dans ce premier débat. Le Parti Libéral souhaite profiter de la faiblesse historique des taux d’intérêts pour emprunter et investir dans des secteurs clés. Surprise, le Nouveau Parti Démocratique (NPD) se positionne économiquement à droite des Libéraux en insistant sur l’atteinte du déficit zéro, nous rappelant tristement le gouvernement Couillard. Fait cocasse : c’est en l’absence de Gilles Duceppe à Calgary, entre trois politiciens qui ne cessent de chanter la mort de l’indépendantisme québécois, que la question nationale s’est le plus longuement fait entendre. Trudeau, Mulcair et Harper se sont alors livrés une longue lutte à savoir qui s’opposerait le plus vigoureusement aux terribles projets des souverainistes québécois.

La puissance émotive des enjeux de division

Puis, comme un coup de tonnerre dans un ciel sans nuages, est apparu dans le paysage électoral un sombre niqab planant lugubrement devant le soleil des droits et devoirs civiques canadiens. Le vent a tourné, les stratèges conservateurs ont sévi, armés de la puissance surprenante des enjeux de division. Doit-on ou non permettre le vote et l’assermentation de nouveaux citoyens voilés par un niqab ? Il n’en fallait pas moins pour déchaîner les passions et changer de bout en bout l’orientation de la campagne électorale et, conséquemment, des débats. Le second débat, organisé par Radio-Canada et modéré par l’effacée Anne-Marie Dussault, s’est avéré prendre la forme d’un échange échevelé entre May, Trudeau, Harper et Mulcair. Gilles Duceppe qui, pourtant, attaquait avec pertinence et droiture chacun d’eux a été ignoré tout au long de la soirée. 

Les thèmes habituels furent abordés sans surprise, les différents partis se démarquant surtout quant à leurs positions sur le vote voilé – Harper et Duceppe s’y opposant. Les stratégies à adopter dans la lutte contre l’État Islamique ont aussi été débattues. Mulcair, May et Trudeau ont rejeté l’intervention armée, Harper en a fait l’apologie et Duceppe a adopté une position intermédiaire. Le dernier débat opposant Trudeau, Harper, Mulcair et Duceppe a donné lieu aux mêmes affrontements dans un contexte beaucoup plus organisé et intéressant. 

Outre l’absence de Mme May, qu’elle a attribué au supposé machiavélisme de Pierre Karl Péladeau, qui voudrait la censurer, la seule différence observée au débat de vendredi à TVA a résidé dans la quantité de propos étranges qui y furent entendus. Justin Trudeau appelant Duceppe « mon amour », Gilles Duceppe soupçonnant Mulcair de vouloir s’approprier l’invention d’internet à force de tordre la réalité à son avantage, Trudeau évoquant les Montréalais qui perdent leur voiture dans des nids de poule… Citoyens, la campagne fût longue. Allez, aux urnes, avant de perdre la raison !


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