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Le ronron de la dame Papillon

Hypocrites ou aveugles, la nouvelle production de l’Opéra de Montréal reçoit des éloges. 

Yves Renaud

Pour certaines questions d’argent et d’autres d’esthétique, l’opéra est un art réputé difficile d’accès. Aussi, pour le spectateur ayant payé le prix fort, aller à l’opéra, c’est déjà une fin en soi. Le prestige se passe de critique, et d’ailleurs, aucun amateur satisfait de son acquisition au sortir de Christie’s ne supporterait qu’on lui explique que celle-ci est plutôt médiocre. Mais qu’en est-il du journaliste dont le rôle est de passer la représentation au tamis ?

À en juger par les titres d’articles qui traitent du nouveau Madame Butterfly de l’Opéra de Montréal, il dort d’un sommeil consensuel et débonnaire. Ce fut une « Très émouvante Butterfly » pour La Presse, « un beau moment d’opéra » sur le Huffington Post (toujours en recherche d’amateurs) et enfin « un bon moment » sur Pieuvre​.ca. Passons sur « le Yankee, la Geisha et les Platters » du Journal de Montréal (qui touche le fond mais creuse encore). 

Le marasme critique en est à ce point que La Presse se sent obligée de justifier l’avis de son très âgé critique musical, Claude Gingras, par ce paragraphe introductif : « Ayant vu trois fois la production du tandem argentin Roberto Oswald-Anibal Lapiz de Madama Butterfly à l’Opéra de Montréal, soit en 1988, 1993 et 2002, celui qui vous parle a redécouvert dans une nouvelle fraîcheur cette scénographie magnifiquement dépouillée » et cætera.

Le seul franc-tireur mettant du sel dans son titre, Christophe Huss, officie sans hasard au journal Le Devoir. Ce contempteur ose titrer : « Madame Butterfly : faut-il faire semblant d’y croire ? ». Et pour cause, la mise en scène proposée par François Racine est commune, c’est-à-dire moyenne, ronronnante, sans surprise. Les interprétations vocales sont pour la plupart passables. Mais si vous êtes malentendant, pas de souci, dans ce décor fait de papier de riz, les lumières indiquent s’il faut sourire (rose diffus) ou pleurer (rouge écarlate). 

Heureusement d’ailleurs, car les performances d’acteur sont terribles. Nous ne sommes pourtant plus au XVIIe siècle, le chant et le jeu peuvent être considérés avec une égale importance ! Mis à part Allyson McHardy qui fait une Suzuki crédible, on constate ici les dégâts d’une voix non incarnée : la vacuité, l’ennui. Où sont les passions ? Voir tomber, une à une, à l’eau toutes les blagues d’un livret (hormis une seule soyons honnêtes), est assez affligeant. Le temps semble long. Après l’entracte, une voisine de gauche s’endort paisiblement, bercée par la douceur du chœur à bouche fermée. Une sieste luxueuse, est-ce là tout ce que l’on peut nous servir ?

Pour sa première, en février 1904, Madame Butterfly avait fait un gigantesque plat à la Scala de Milan. Les spectateurs s’étaient même mis à pousser des cris de bêtes en entendant les gazouillis d’oiseaux lors de l’intermezzo du deuxième acte tant la chose leur paraissait absurde ! A‑t-on cloué le bec à cette ironique basse-cour ? Si la critique mollassonne qui sévit dans nos parodies de journaux est à l’image du public qui fréquente l’opéra, nous voilà bien embourbé dans notre appréciation de cet art exigeant. Qu’à cela ne tienne, le spectacle affiche complet pour les quatre représentations restantes ! 


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