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Le statut de réfugié, une voie réservée

État des lieux : quel accueil à Montréal aujourd’hui ?

Matilda Nottage

Traverser l’Atlantique et arriver à Montréal comme réfugié ou demandeur d’asile pour échapper à la persécution et à la violence n’est pas chose facile. Depuis longtemps, le Canada est réputé comme un pays accueillant et connu pour sa population diversifiée. Cependant, depuis quelques années, le gouvernement semble serrer la vis sur la question de l’immigration, rendant l’entrée des réfugiés plus laborieuse.

Le Canada, de moins en moins accueillant ?

En 1986, le Canada remportait, en tant que nation, la médaille de Nansen du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en reconnaissance de la « contribution soutenue de la population canadienne à la cause des réfugiés » d’après Action Réfugiés Montréal, une association de soutien pour les réfugiés et les demandeurs d’asile. Le Canada a la réputation d’être l’un des pays les plus accueillants, il est aussi le seul pays à avoir des partenariats privés avec des organisations d’accueil de réfugiés, en plus de ceux que le gouvernement fait venir des camps de réfugiés dans le monde. Néanmoins, depuis une dizaine d’années, le Canada ne semble plus être la terre d’accueil par excellence.

Anna Purkey, candidate au doctorat de droit civil à McGill et spécialiste de l’immigration et du traitement des réfugiés, déclare : « au regard de ce qu’il s’est passé dans les huit dernières années, je pense que nous ne méritons plus notre réputation.» Elle explique que le gouvernement a progressivement effectué des coupes budgétaires dans le domaine de l’immigration, ce qui a pour effet de compliquer l’entrée de réfugiés, particulièrement ceux qui n’ont pas été choisis par le gouvernement ou par des organismes privés partenaires. Un article paru le 23 janvier 2015 dans L’Actualité intitulé « Immigration : quand le Canada serre la vis » rapporte que ces mesures gouvernementales visent à réduire le nombre de demandes d’asile, et l’objectif aurait été atteint : le Canada a reçu deux fois moins de demandes en 2013 qu’en 2012. Anna Purkey affirme qu’« en augmentant les critères de langue et en doublant le coût de l’application au statut de résident réfugié, mais aussi en construisant plus de centres de détention pour les nouveaux arrivants, le gouvernement crée un climat peu accueillant ».

D’après Jaime Lenet, diplômée en travail social et spécialiste des communautés immigrantes et réfugiées, « le Canada, qui était protecteur, est en train de devenir de plus en plus suspicieux vis-à-vis des réfugiés […] Il existe une croyance, que je ne partage pas nécessairement, que les réfugiés abusent du système et viennent pour satisfaire des besoins économiques ». Le gouvernement a été critiqué pour les modifications apportées en décembre 2012 à sa Loi sur l’immigration qui tend à criminaliser l’immigrant demandeur d’asile, au lieu de l’accueillir à bras ouverts. Les demandeurs d’asile sont souvent envoyés en détention à leur arrivée, ce qui est punitif. Les délais sont ensuite très courts pour préparer une candidature au statut de réfugié (environ 60 jours), surtout si les demandeurs proviennent de « pays d’origine désignés » (POD), c’est-à-dire des pays qui ne produisent pas de réfugiés habituellement (le délai est alors de 30 à 40 jours).

Les associations à la rescousse

Anna Purkey explique que la forte concentration de réfugiés dans la ville de Montréal est attribuable, premièrement, à l’accès facilité par le bilinguisme (l’adaptation est plus commode pour les réfugiés provenant de la francophonie, notamment du Rwanda et du Congo), mais aussi parce qu’il existe un réseau d’associations d’entraide assez bien développé. La Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes, explique-t-elle, est un organisme ombrelle qui relie les associations de soutien entre elles. Saandiya Allaoui et Jean-Marie Mousenga, intervenants sociaux du Centre AFRIKA, rappellent qu’un demandeur d’asile, même s’il n’a aucun statut en arrivant à Montréal, a des droits. Face au douanier, qui détient le pouvoir discrétionnaire d’envoyer un immigrant en détention, le demandeur d’asile a droit à un avocat, et surtout, le droit d’être entendu. C’est ce que décrète la Convention de Genève de 1951, précise Saandiya Allaoui. « Nous travaillons avec des réfugiés qui nous contactent et qui ont besoin de se défendre ; nous les mettons donc en relation avec des avocats, et notamment avec l’organisme parapublic CIRC (Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada), explique-t-elle, qui s’occupent de défendre les droits des demandeurs d’asile et des réfugiés. »

Saandiya Allaoui souligne que les lois concernant le statut de réfugié relèvent du niveau fédéral, qui a beaucoup changé ses politiques dans les deux dernières années. Le processus d’immigration en tant que réfugié est plus rapide pour les mineurs, notamment parce que la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1995 assure le droit à l’éducation pour tous et partout. « Dans une famille de demandeurs d’asile arrivant au Canada, il est donc possible que la procédure soit plus rapide pour les enfants que pour leurs parents, ou même que les parents soient refusés et forcés de retourner dans leur pays. »

Il est plus facile de devenir résident canadien en étant parrainé par le gouvernement ou par un organisme privé, parce que cela permet aux réfugiés de mettre le pied sur le territoire canadien en ayant déjà leur statut de réfugié attribué. Une fois parrainé, un réfugié obtient automatiquement son statut de résident permanent dès son entrée au Canda, ce qui lui donne accès aux services de santé et d’éducation, mais lui donne aussi la possibilité de devenir citoyen.

À McGill, au compte-goutte 

Sans forcément le savoir, les étudiants de McGill contribuent à l’accueil d’environ deux réfugiés par an. Cinquante cents sont prélevés sur la facture scolaire chaque semestre pour être reversés au EUMC McGill, la branche mcgilloise de l’organisme national Entraide universitaire mondial du Canada.

Le EUMC est un organisme qui offre des services visant à promouvoir l’accès à l’éducation dans le monde, et dont le programme d’étudiants réfugiés (PER) a permis à plus de 1200 étudiants réfugiés d’étudier dans des universités canadiennes depuis 1978. L’organisme fait venir ces réfugiés en allant les chercher notamment dans les camps où ils sont stationnés. Ce système a permis à 73 réfugiés de venir étudier au Canada en 2014. C’est ce que révèle Michelle Manks, directrice du Programme d’étudiants réfugiés, qui ajoute que McGill contribue à ce programme depuis 1987 et a déjà accueilli un total de 33 étudiants. D’après Michelle Manks, la majorité de ces étudiants a finalement obtenu le statut de citoyen, et fait donc aujourd’hui partie de la société canadienne. Michelle Manks précise que : « ces dernières années, la majorité des étudiants que nous avons établis au Québec est d’origine rwandaise, congolaise ou burundaise.» Madeleine Pawlowski, étudiante et coordinatrice du groupe EUMC de McGill, dont elle est membre depuis quatre ans, explique que son rôle est d’accueillir et d’intégrer les étudiants : « je travaille avec l’administration pour m’assurer qu’ils aient de conseillers académiques dès leur arrivée et afin de confirmer le financement de leurs études. Ensuite, nous leur ouvrons des comptes bancaires et nous les aidons à remplir les formulaires de sécurité sociale.» En plus du soutien logistique, le groupe de huit étudiants mcgillois s’occupe de l’intégration sociale et académique des étudiants parrainés : « nous organisons des dîners, nous allons patiner, nous les aidons à choisir leurs cours…» Les étudiants se retrouvent tous les mardis soirs, entre parrains et parrainés, pour organiser des campagnes de sensibilisation.

Le groupe du EUMC McGill accueille deux étudiants réfugiés par an, mais cela risque de changer. Madeleine Pawlowski déclare que l’investissement nécessaire pour s’occuper de l’intégration administrative, académique et sociale de nouveaux étudiants ne laisse pas forcément le temps de s’occuper des soucis financiers du groupe. « Le problème, affirme l’étudiante, c’est que nous sommes en déficit et que, si l’on ne change pas le montant de la cotisation étudiante, dans quatre ans, nous ne pourrons plus accueillir qu’un étudiant par an, ce qui serait dommage.» McGill n’a pas, pour l’instant, l’intention de financer le parrainage d’étudiants, car selon Madeleine Pawlowski, « McGill tient à ce que cela reste une initiative étudiante ». D’après deux étudiants de McGill parrainés par le EUMC, l’Université pourrait en faire plus, notamment en offrant des exemptions de frais de résidence, par exemple. Robert et Peter, tous deux réfugiés et étudiants de McGill, expliquent que le groupe avait pensé lancer un référendum pour augmenter la cotisation, mais l’AÉUM ne les y a pas autorisés pour des raisons de statuts administratifs. 

Témoignages d’étudiants réfugiés 

Robert, étudiant en deuxième année en pharmacologie, et Peter, étudiant en première année de développement international, sont tous deux arrivés à Montréal grâce au EUMC. Ils étaient réfugiés rwandais au Malawi, où Peter est arrivé lorsqu’il avait un an et demi,  Robert, lui, avait huit ans. Ils expliquent que le EUMC est connu des étudiants dans les camps de réfugiés, et leur donne un espoir de poursuivre leurs études. « Après le lycée, nous devions remplir la demande pour faire partie du programme, on doit avoir de bonnes notes et correspondre à des critères particuliers. Par exemple, nous avons dû prouver que nous étions au Malawi en tant que réfugiés, que nous avions besoin de ce programme, mais aussi que nous étions indépendants.» Après avoir été choisi par l’organisme, sur la base du mérite, les étudiants ont rencontré Michelle Manks, la directrice du programme, pour une entrevue. Ils ont ensuite suivi des cours pour le TOEFL (le test d’anglais le plus largement répandu dans le monde) pendant six mois. Enfin, ils ont reçu un papier, qui leur servait de passeport, pour quitter le Malawi, « sans retour », et entrer au Canada, où ils ont pu devenir résidents permanents. « En arrivant à l’aéroport, nous avons rencontré les étudiants du groupe EUMC de McGill, dont nous ne connaissions que les noms », raconte Peter. « Dès notre arrivée, ils nous ont guidé dans Montréal, nous ont montré la ville. C’était pendant le Frosh, je n’avais aucune idée de ce qui était en train de se passer », ajoute Robert. 

Les deux étudiants s’accordent sur le fait que l’organisme a fait un travail remarquable. « L’éducation change le monde. En arrivant ici, notre vie a changé. Cela nous a ouvert à beaucoup d’opportunités. En fait, nous avons commencé une nouvelle vie », racontent-ils. Peter  explique que les jeunes réfugiés qui arrivent à Montréal sans l’aide du EUMC ont beaucoup plus de mal à entrer à l’université parce que les études secondaires effectuées auparavant dans leur pays ne sont pas toujours reconnues. Pour eux, le EUMC est un privilège, et une chance, même si la condition était de laisser leurs familles derrière. « Parrainer à notre tour nos familles, en faisant venir chaque membre, coûterait beaucoup trop cher », fait remarquer Robert. Ayant terminé sa première année à McGill, il ne bénéficie plus du soutien financier du EUMC, et doit donc avoir une source de revenu en complément de ce que lui verse le gouvernement. 

Robert et Peter expliquent que ce qui leur a permis de surmonter très rapidement les difficultés de la transition culturelle a été l’amabilité des Canadiens, que ce soit leurs camarades ou leurs professeurs. Robert raconte : « c’est une nouvelle culture […] pendant les premiers cours, on n’a aucune idée de ce qui se passe. Au début, on ne se rend pas compte que les gens autour ne demandent qu’à aider.» Peter continue : « au Malawi, on ne dit pas qu’on est réfugié rwandais. Les gens ne nous aiment pas. Ici, je suis à l’aise quand je le dis parce que les gens sont plus accueillants, ils nous respectent en tant qu’êtres humains peu importe d’où l’on vient.» Les deux étudiants n’ont pas leur citoyenneté canadienne mais espèrent l’obtenir. Robert confirme : « si je voyage en disant que je suis du Malawi, je ne suis pas sûr d’être aussi bien accueilli qu’en étant Canadien.» Pour ces deux étudiants optimistes, l’adaptation la plus difficile, en plus du niveau académique, a été de s’habituer à la nourriture canadienne…

Finalement, l’accès restreint au statut de réfugié est une réalité sur laquelle il est difficile d’avoir prise, mais des associations existent qui travaillent à venir en aide aux demandeurs d’asile. Les quelques étudiants réfugiés qui parviennent à s’établir légalement sont accompagnés dans leurs démarches et trouvent une terre d’accueil sur le sol canadien. Seul le gouvernement a le pouvoir d’octroyer une citoyenneté, mais les citoyens, eux, peuvent accueillir et soutenir les réfugiés. Encore faut-il que le sol canadien leur soit palpable.


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