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La vie universitaire

Une pièce culte sur les hypocrisies sociales et conjugales au Théâtre Jean-Duceppe.

Normand D'Amour et Maude Guérin

Envisageons cette scène : George, un jeune professeur universitaire, écrivain dans l’âme un peu timide, tombe amoureux de la fille du recteur de l’université dénommée Martha. En fait, c’est Martha qui le choisit : elle le voit dans une réunion départementale, flirte avec lui en s’aidant d’un peu d’alcool fort et le contraint finalement au mariage. C’est d’ailleurs elle qui le pousse dans tous les aspects de sa vie – que ce soit à terminer son manuscrit ou à l’envoyer à son père pour qu’il le publie. Mais (on le sait), le campus universitaire a ce je-ne-sais-quoi de conservateur qui oblige le père de Martha de refuser le texte de George. Cette réaction est non-motivée et ridiculise George qui reçoit l’étiquette du professeur d’histoire « sans ambition » du campus.

Vingt ans plus tard, le couple est toujours ensemble. Au cours des nuits, ils ont eu le temps de se rappeler leurs frustrations, buvant toujours, coups après coups, de l’alcool fort qui avait scellé leur mariage. Un beau soir, revenant d’une soirée départementale, ils décident d’inviter des amis : le nouveau professeur de biologie et sa femme. C’est sur l’arrivée de ce couple qui entre dans le milieu universitaire que s’ouvre la fameuse pièce d’Edward Albee, Qui a peur de Virginia Woolf ?. Joué et rejoué, ce psychodrame mettant en scène ces deux couples ancrés dans les filets des règles et des conventions du « bon monde » est surtout connu du grand public grâce au film dans lequel Elizabeth Taylor incarne le rôle de Martha, dans un rôle tout en subtilité malgré la grande fureur et le désespoir du personnage. 

Cependant, dans cette mise en scène de Serge Denoncourt, le spectateur regrette un peu le jeu contrôlé d’Elizabeth Taylor. Maude Guérin dans le rôle de Martha fait rire de façon très juste lorsque son personnage s’enivre d’alcool, mais l’accent semble avoir été mis sur la portion ludique de la pièce. Kim Despatis, dans le rôle de la femme du professeur de biologie, est une très bonne actrice : elle mène avec éclat les émotions du personnage qui est pour Edward Albee source de contraste lorsqu’on la compare au couple de Martha et de George. Toutefois, le jeu est trop gros pour y croire, les deux femmes semblent avoir été dirigées comme l’on dirigerait un vaudeville. 

Heureusement, le résultat n’est pas totalement inintéressant. Lorsque le texte s’assombrit après l’entracte, l’ambiance loufoque s’affaisse au profit d’une tonalité traditionnellement dramatique propre à la pièce. Les personnages changent : les masques des adultes niant le malheur qui les entoure tombent, et l’auditeur réalise que tout cela n’était qu’illusion. Un couple à bout qui ne peut plus se supporter ni se mentir, des collègues exténués qui n’en peuvent plus de boire à quatre heures du matin et de faire semblant de s’apprécier. Le jeu ralentit, on regarde les couples ramasser ce qu’il reste d’eux-mêmes et finir les derniers verres. Et enfin, on se calme.


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