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Dernière chronique

Subversion en pyjama.

Cécile Amiot

Enfin ! Ca y est ! J’ai réussi ! Je. Je. Je. JE ! Je crisse ce « Je » là par la porte !

J’ai eu il y a bientôt un an déjà une idée de chronique pour Le Délit de laquelle je n’avais que le titre, idée soufflée par le rédacteur en chef de ce journal confronté à ma subversion de circonstances. Comme les « dilettantes de l’anti-conformisme qui aiment leurs pantoufles » que dénonce Hervé Bazin, je me réclame de cette subversion tranquille et paradoxale, que j’ai trouvé bon de nommer « subversion en pyjama », retrouvant dans le pyjama la même idée de confort qu’évoquent les pantoufles.

Ne voyant aucune trace de ma chronique, que j’annonçais sur tous les toits, mes collègues du comité de rédaction ont commencé une running joke sur cette chronique que l’on ne verra jamais, running joke que je me plaisais à alimenter, décrétant que ma chronique était tellement subversive qu’elle ne serait jamais publiée (ni même écrite, du reste).

Or, la voici, inannoncée, dans son inachèvement, outrepassant d’ailleurs le vote du comité, simple formalité normalement. Oui, car avec l’aide de deux-trois complices, j’ai créé une fissure dans Le Délit, introduit ma chronique clandestine en douce, accomplit une métasubversion qui est l’aboutissement de ma chronique, ou bien son commencement. Ma chronique ! Il se peut que ce soit la seule, auquel cas elle fera date. Voici l’œuf du projet tué dans l’œuf, pas de poule, et certainement pas de fécondation. Ce n’est pas le Grand Dérangement, mais un petit dérèglement dans l’ordre des choses.

Je me reprends. On respire. Qu’est-ce que la subversion en pyjama ? C’est mon confort d’homme blanc, issu de la upper-upper, étudiant dans la meilleure université du Canada (selon le dernier classement McClean’s. Quels en sont les critères ? Qu’importe!). J’ai le pouvoir et je le refuse, non merci, je ne joue pas le jeu. Vous m’avez expliqué les règles mais je lis à travers. Je suis un loup des steppes, triste cynique trop optimiste. Pourquoi faire un effort quand les dés sont pipés ? Jamais. Jamais. Jamais.

Il s’agit de tout déconstruire puisque je ne crois en rien. Muni de mon petit guide du parfait déconstructeur (ou Derrida chez Galilée) je pointe du doigt, je monstre, je crie au loup. Mais personne ne m’écoute, j’ai trop crié et tout le monde me tourne le dos en riant.

On pourrait aussi déconstruire Derrida ! Belle entreprise. Jacques, né Jackie, a changé de prénom de peur que cela fasse trop Jack pour un philosophe-écrivain. C’est surtout mon écriture qu’il faut déconstruire, pour qu’elle ne fasse plus aucun effet. Sèche, aride, faire de ma vie un désert. DÉSERT ! DÉSERT ! Bla-bla-bla tout s’explique, et comment faire croire que c’est moi qui écrit quand je dis « Je ». Je. Je. Je. Attendez ! Je suis mort ! Je n’ai pas réussi à me tromper moi-même. Comment puis-je tromper les autres ? Je ne les ai pas suspendus, ils ne rentreront pas dans ma propre vie. Je suis DI-EU. Je suis DI-EU. Je suis DI-EU. Non non non.

J’ai longtemps refusé d’écrire, ne croyant pas au mythe de ma propre fiction. C’est pour cela que j’ai écrit aujourd’hui. Mais je m’arrête. Ce petit jeu m’épuise.


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