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Timbuktu, l’autre visage du djihad

Abderrahmane Sissako livre son dernier film, fable poétique et bouleversante.

Le Pacte

Tout commence par une course effrénée entre une gazelle et un groupe de chasseurs en voiture cherchant à l’épuiser plus qu’à la tuer. Puis des statuettes en bois sculpté servent de cible à des djihadistes : la plupart sont renversées sur le sable, mortes sous le feu des balles, mais deux restent debout, abimées mais faisant face à l’adversité. Voici comment débute le dernier film d’Abderrahmane Sissako, Timbuktu, tourné en grande partie en Mauritanie, son pays natal. L’histoire traite de l’invasion du groupe djihadiste AQMI à Tombouctou, ville du Mali surnommée « la perle du désert », en avril 2012. Le film retrace le bouleversement de ce nouveau système imposé aux villageois, qui essayent de résister tant bien que mal. La lapidation par des islamistes d’un couple non marié dans une ville au nord du Mali aurait incité le réalisateur à empoigner sa caméra de nouveau.

Timbuktu retrace cette terreur djihadiste qui fait irruption dans la ville : la musique, les cigarettes et le football sont soudainement bannis, les femmes doivent se voiler et porter des gants, les mariages forcés sont improvisés par un groupe d’hommes qui détient le pouvoir au nom de Dieu. Mais ce sont les hommes et leur résistance qui intéressent Sissako : un imam qui fait face aux islamistes, leur rappelant que la religion se fait dans la tête et non par les armes ; deux couples bravant l’interdit en entonnant une chanson ; un père de famille touareg faisant face au châtiment des djihadistes ; ou encore un groupe de jeunes mimant un match de foot sans ballon, la scène inoubliable du long-métrage. Le réalisateur parvient à filmer avec un grand talent ces scènes alliant une puissance indéniable à une réalisation douce et poétique autour d’un sujet lourd d’actualités et de malheurs. 

Sissako prend soin de dépeindre ces fameux djihadistes sous un nouveau visage : ici, il ne s’agit pas de les diaboliser, mais plutôt de les montrer comme grotesques et absurdes. Ils apparaissent comme des êtres remplis de contradictions, ne respectant pas les principes qu’ils imposent : un fume en cachette, un autre ne se sent pas capable d’exprimer sa foi pour un clip de propagande, certains parlent de Zidane et de Messi avant d’interdire une partie de foot. Les dialogues zigzaguent entre plusieurs langues, passant du français à l’anglais, à l’arabe et aux dialectes berbères, avec la présence de plusieurs interprètes, montrant alors certains djihadistes qui maitrisent à peine la langue du Coran. La parole est multiple mais devient répression au lieu de communication. Le seul moment où l’un des chefs manifestera oralement de l’empathie, il demandera à l’interprète de ne pas traduire. Sissako s’attarde sur une famille de Touaregs, installée au-delà des dunes, au milieu du désert aride – une famille idyllique où règnent l’amour, le bonheur et la liberté, mais que l’instauration du nouvel ordre islamiste viendra désunir et précipiter dans le malheur. 

L’intelligence du film se trouve dans la manipulation parfaite de la caméra par Sissako et par son message qu’il déploie au monde : Timbuktu s’éloigne de l’image de l’islam radical véhiculée par les médias, lui donnant à l’inverse un visage humain en montrant des djihadistes simples d’esprit et remplis d’absurdités dont les premières victimes sont les populations locales, qu’elles soient maliennes, nigériennes ou syriennes. Mais Timbuktu reste une fiction avant tout : Sissako voulait éviter d’en faire un documentaire, pour ainsi proposer une vision audacieuse, courageuse et assumée, dénuée de pathos et de jugement. Timbuktu met en scène des plans qui subliment les paysages du désert malien et des acteurs pour la plupart inconnus du grand public qui n’en sont que plus éclatants. C’est une fable incarnée par un cinéma poétique et sublime dénonçant la réalité de l’horreur. Timbuktu est une prise de conscience, une gifle donnée au spectateur.


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