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Djihad, tout simplement

Une pièce qui ne se garde pas de gêne.

Monica Morales | Le Délit

Ismaël Saidi était inconnu au Québec avant la semaine dernière. Après une représentation à Québec devant le premier ministre et son cabinet, en ouverture d’une conférence de l’UNESCO sur la radicalisation, c’est pour le Festival du monde arabe qu’il s’amène à Montréal. Son objectif : voir le djihadisme islamique radical d’un nouvel œil en le ridiculisant. Le nom de l’oeuvre : Djihad, tout simplement.

As-tu lu le Coran, frère ?

Djihad, c’est l’histoire de trois hommes de confession musulmane ayant grandi à Bruxelles. Ben, leadeur et tacticien, Reda, un peu naïf, et Ismaël, torturé sur toute la ligne. Ismaël n’a pas pu poursuivre sa passion du dessin, Ben a dû renoncer à son admiration pour Elvis Presley, juif, et Reda, à son amour pour une femme que sa religion lui empêche d’aimer. Le problème est le suivant : il se rendront rapidement compte qu’ils sont mal informés. Aucun d’entre eux n’a lu le Coran, ils ont seulement écouté ce qu’on leur a dit. Ils ne comprennent pas ce qu’ils prêchent. Ainsi, ils ne savent pas qui est le mécréant à combattre.

Instruire par le rire

Saidi a fait un choix artistique : les décors et accessoires sont minimes. Des arrière-plans projetés, tels un PowerPoint, et des habits très décontractés. L’important, c’est le jeu des acteurs, qui réussissent à merveille. En effet, James Deano (Ben), Reda Chebchoubi (Reda) et Saidi lui-même (Ismaël), en un peu plus d’une heure de scène, font rire, pleurer, et tout ce qu’il y a entre les deux. La confusion des personnages et la gamme des émotions qu’ils traversent sont le cœur battant de cette tragicomédie. 

À travers ce périple, ces trois mousquetaires remettent en cause le djihad. Reda demande : « Le mécréant, il ressemble à quoi ? Parce que dans Call of Duty, il a plus l’air de nous (sic) en fait…» Au fur et à mesure qu’ils partagent leurs histoires resoectuves, chacun d’entre eux se questionne. Ils sont confrontés à des drones, sympathisent avec un chrétien, et font face à leurs propres démons. À la fin de la pièce, le personnage d’Ismaël, le protagoniste, doit faire un choix déchirant : choisir entre sombrer dans le radicalisme ou entrer dans la modernité, la haine ou l’amour. Bref, il approche du point de non-retour. À ce stade-ci, les spectateurs ne rient plus. 

Créer un dialogue

C’est choqué par des propos de Marine Le Pen et la nouvelle qu’un de ses anciens camarades de classe combat pour Daesh qu’Ismaël Saidi écrit cette œuvre. Rapidement, la pièce est devenue un projet éducatif sur l’Islam, le djihadisme et les communautés. La première représentation à Bruxelles était le 9 janvier 2015, soit le jour de l’attentat dans une supérette casher, et deux jours après Charlie Hebdo. Aujourd’hui, 197 représentations plus tard, on cherche toujours à guérir. Chaque spectacle se termine par une conversation avec les spectateurs. Saidi veut créer un espace de dialogue. Se définissant comme un Belge musulman pratiquant assumé, il veut une chose : que la nouvelle génération pense d’elle même. Longtemps, les musulmans, tout comme l’Occident, ont permis qu’on leur dise quoi penser. Saidi veut que ça cesse. La solution pour lui : l’éducation, et ce dès la jeunesse.

Un tome 2 de Djihad est en préparation. Intitulé Jahannam (جهنم), soit « enfer » en arabe, cette pièce racontera l’histoire d’un terroriste condamné en prison, afin d’explorer la plausibilité de la déradicalisation. Jusqu’à présent, aucune menace n’a été proférée contre l’auteur. Selon ses propres mots, cependant, il « n’en a rien à foutre ». Et tant mieux, car Djihad est à voir, et à revoir. 


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