Aller au contenu

Allez vous réchauffer au Musée

Le MBAM importe le soleil, les couleurs et les plaisirs de l’Orient à Montréal. 

MBAM

Mardi 27 janvier, Nathalie Bondil, la directrice générale et conservatrice du Musée des Beaux-Arts de Montréal a présenté sa nouvelle exposition, Merveilles et mirages de l’orientalisme  De l’Espagne au Maroc, Benjamin Constant en son temps, qui a ouvert ses portes samedi 31 janvier et se poursuivra jusqu’au 31 mai 2015. En collaboration avec le musée des Augustins de Toulouse, d’où Benjamin Constant est originaire, le MBAM offre la première exposition sur l’orientalisme au Canada, courant occidental du 19e siècle qui met l’Orient au centre. Emergeant comme un enjeu politique majeur pour les grandes puissances européennes, l’orientalisme est alimenté par un fantasme romantique, mais aussi par les observations ethnographiques de peintres voyageurs tels que Benjamin Constant, Delacroix, Regnaud, Clairon, Lorens et d’autres. La même fascination romantique du pourtour méditerranéen inspira le recueil de poèmes Les Orientales à Victor Hugo, en 1829. « À Paris…c’est Byzance qui est à la mode », déclarait Benjamin Constant, dont l’atelier est le thème de la première salle de l’exposition.


L’Alhambra : l’Orient redouté et admiré

C’est d’abord la chaleur de l’Espagne qui fascine les peintres, notamment le palais de l’Alhambra à Grenade, auquel Nathalie Bondil consacre une seconde salle. Réapparaissant au cours de la redécouverte de l’Andalousie et de son héritage hispano-mauresque, mythe de l’historiographie romantique, l’Alhambra est un élément phare de l’orientalisme et donne naissance à l’alambrismo, adopté par l’artiste catalan Fortuny. Il met en valeur l’architecture mauresque, sa calligraphie et ses moucharabiehs, motifs décoratifs que l’on a pris soin d’introduire dès l’entrée de l’exposition par des jeux de lumières. Ce n’est pas seulement l’architecture exotique qui fascine les orientalistes, mais aussi le pouvoir, la violence et les femmes, le tout mélangé dans l’œuvre impressionnante Le lendemain d’une victoire à l’Alhambra (1882), représentant les hommes, toujours les armes à la mains, avec les femmes comme butin.

Le Maroc, enjeu géopolitique

En 1872, Benjamin Constant est envoyé en mission diplomatique au Maroc, dans la lignée de son collègue Delacroix, duquel il s’inspire et dont les oeuvres sont aussi exposées. Il y rencontre le Caïd Marocain Tahamy, dont il fait un portrait de pied avec des couleurs éclatantes. Toute une salle est consacrée aux missions de Constant et Delacroix au Maroc, et surtout à leur fascination pour la ville de Tanger. Plusieurs toiles, très apaisantes, comme Le soir sur le rivage, représentent les soirées sur les terrasses de la ville. En fond de toile, la silhouette blanche et géométrique des murs de Tanger flotte sur la mer bleue calme, pour laisser le premier plan aux sujets se prélassant sur les terrasses. On se perd dans le bleu de la mer ainsi que dans les yeux des personnages paisibles. Sur une note plus dure, plusieurs toiles représentent la violence guerrière, notamment Les derniers rebelles et Prisonniers marocains, qui dépeignent toujours une violente férocité par le sang, les sabres, les fusils et le regard perçants des soldats arabes. 

L’intimité, les femmes, le harem : fantasme des orientalistes

Le 19e siècle marque l’émergence d’une tradition naturaliste, le gout du détail. Les artistes cherchent à entrer dans l’intimité de leurs sujets. Ainsi, Constant représentent des scènes quotidiennes comme L’échoppe d’un tailleur et Le Bazar mais aussi des scènes intimes dans les hammams. Constant, Delacroix et leurs collègues étaient fascinés par les mœurs sauvages de l’Orient. L’exposition débute avec un tableau impressionnant nommé L’intérieur d’un harem : les femmes comme sources de plaisir, tentatrices machiavéliques, joujoux du Pacha, mais surtout prisonnières et esclaves. Elles sont représentées au milieu des tapis, des dattes, des parfums et des instruments de musique, toujours au dessous des hommes. Benjamin Constant, épicurien, représente ces scènes de plaisirs en rêvant certainement d’en être le Pacha. Il appuie sur les couleurs, les détails et la volupté des femmes musulmanes. Point surprenant : il représente toujours l’odalisque centrale en rousse, ce qui rappelle la vision eurocentriste de l’Orient. La toile Salomé dansant devant le roi Hérode de Rochegrosse, l’un des émules de Benjamin Constant, montre cette patriarchie dans toute sa splendeur. Certaines critiques se sont fait entendre contre ces peintures, notamment qualifiées de vulgaires par Didier Rykner, journaliste et historien de l’art français (dans La Tribune De L’Art, 8 décembre 2014). 

Malgré cette représentation discutable des femmes, et la présence écrasante des sabres et fusils sur l’ensemble des toiles, il émane de l’exposition un vif parfum oriental qui réchauffe, en plein hiver montréalais. En plus de nous réchauffer, c’est aussi un bel hommage au Moyen-Orient, alors que la région est sous les feux médiatiques pour des raisons autrement tragiques. C’est une bouffée d’air chaud, un éblouissement de lumière méditerranéenne et de couleurs éclatantes desquelles on a du mal à se séparer.


Articles en lien