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Rires et pouffements

Exacerber les peurs pour mieux les jeter au pied du mur.

Luce Engérant

Mercredi 7 janvier 2015, policiers, agents de services, journalistes, illustrateurs, pères, mères, provocateurs, grandes gueules, artistes, soldats, citoyens seront morts pour rien mais laisseront dans leur sillage la volonté humaine d’une démocratie qui nous dépasse par sa grandeur, son exemplarité, sa transparence, son honnêteté. Un coup de crayon pour définir l’humanité. Une Clio pour dépasser le mur du son – excusez mon mauvais goût. Par le dessin et les mots crus, la limite de la tolérance a été poussée à bout, sans jamais être dépassée. L’extrémisme a été mis à bas, les caricaturistes ont choqué, non pas par plaisir, mais parce qu’ils en avaient le droit. Une liberté n’est aimée que lorsqu’elle est vécue jusqu’au bout.

L’une des spécificités du journal attaqué, Charlie Hebdo, était le choc par l’humour. De mauvais goût de temps à autre, mais ne vous êtes-vous jamais senti mal à l’aise devant un sketch de Coluche, ou à l’écoute de Brassens ? Dire les choses par le rire – qui, pour les esprits les plus mal placés, se transformait en étouffement –, la caricature et le grossier, c’était la marque de fabrique de Charlie. Un peu comme Desproges qui fustigeait les Juifs pour mieux leur déclarer son amour.

Qu’en est-il de ce rire, sur tout et avec tout le monde ? Ce rire jaune mais libérateur ; celui qui exacerbait les peurs pour mieux ensuite les jeter au pied du mur ? L’heure, il semble, n’est plus aux pouffements, quand bien même l’amalgame à venir a de quoi se tordre : deux musulmans extrémistes qui déciment une rédaction, symbole fort de la démocratie, n’est-ce donc pas le signe que la France est « en guerre » ? Et contre qui ? Le radicalisme religieux, certes. L’islam aussi, au vu de certains, car que certains pratiquants marginaux deviennent la norme, cela en arrange plus d’un.

L’islam et ses amalgames ne sont donc plus matière à humour, mais plutôt à polémique. Comme si les deux ne pouvaient pas aller ensemble. Gardez-vous bien de faire des blagues : elles sont le symptôme d’un malaise social plus profond. Le rire comme rhétorique n’est plus : il abime plutôt qu’il ne guérit. Sacraliser pour mieux ridiculiser, c’est de mauvais goût aujourd’hui.

Le massacre de Charlie Hebdo, c’est une attaque directe à l’humour comme outil de dénonciation politique. Et cela, il faut le dire, n’a rien de poilant : Charlie Hebdo incarnait un rire combattant : le voilà à terre, du moins pour le moment. Desproges faisait de même sur scène et sur France Inter : aujourd’hui, il se retourne au fond de sa tombe. L’humour laisse place au dogmatisme, pour le meilleur et pour le pire.

Il ne s’agit pas de s’esclaffer devant un tel massacre ; souvenons-nous seulement que l’humour n’est pas synonyme d’apologie. Il peut aussi exacerber des tensions et des faux débats et les mettre à mal. Il dénoncera le radicalisme tout autant que les amalgames ambiants. Il se rapprochera un petit peu de la Vérité et fera poiler son auditoire.


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