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Nobel de l’identittérature

La question identitaire au cœur de l’œuvre de Modiano.

Gwenn Duval

Il nous arrive souvent de penser à des souvenirs morcelés ou à des bouts de rêves que l’on n’arrive pas à remettre en place. Comme lorsqu’on se lève le matin au sortir d’un rêve tumultueux et qu’on essaye de se le remémorer. Qui était cet homme avec qui je conversais ? Pourquoi est-ce que j’étais rendu à un certain endroit au lieu d’un autre ? Comment se fait-il que mon ami de maintenant ressurgisse en plein milieu d’un souvenir lointain ? Et puis qui étais-je à ce moment-là ? Il ne nous reste plus que des tableaux de cet ensemble dissolu.

Il y a quelques années, je me posais ces mêmes questions par rapport à une histoire que je n’arrivais plus à situer. Est-ce que je l’avais vraiment vécu ? Était-ce un rêve que j’avais fait qui m’a marqué ? Le plus j’y pensais, le plus j’avais du mal à expliquer d’où me venait cette histoire, jusqu’à ce que je me décide à faire le tour de ma bibliothèque. J’avais certainement dû l’avoir lu, cette histoire. En effet, après une soirée de recherche, je mis le doigt dessus, il s’agissait du récit de L’Horizon de Patrick Modiano. 

Je m’étais fait prendre par son univers. Cet univers dans lequel rôdent tellement de mystères et de secrets. Le temps est fuyant, l’atmosphère pesante. Ses personnages n’ont pas de passé, ils n’ont qu’un présent. On assiste donc à une recherche existentielle. On veut pouvoir coller les morceaux du casse-tête. Impossible de poser le livre jusqu’à ce qu’on ait des réponses. Modiano travaille notre intrigue, notre curiosité. Rien n’est certain. Il fait planer ce sentiment de lourdeur et de malaise qu’on peut retrouver chez Kundera par exemple. 

Dans son dernier roman Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, sorti une semaine avant l’attribution du prix Nobel de littérature 2014 à cet auteur exceptionnel (qui récompense l’ensemble de l’œuvre), Modiano nous replonge dans un de ses rêves. Un téléphone qui sonne, un inconnu au bout du fil, un carnet d’adresses trouvé dans le bistrot d’une gare parisienne, une rencontre puis toute une aventure. Qu’a fait Jean Daragane à part noter dans son carnet l’information d’un vieil ami de sa mère ? Qui est cette personne ? S’en souvient-il ? Pourquoi ces inconnus sont-ils à la recherche de ces informations ? Lui en veulent-ils à lui ? 

Petit à petit, le récit le renvoie dans son passé. À travers cette enquête, il renoue avec certaines personnes, mais qui sont-ils ? Avec certains souvenirs, mais d’où lui viennent-ils ? Avec certains lieux, mais où sommes-nous ? Au bout d’un moment le lecteur tout comme le narrateur se retrouve complètement mêlé. Tiraillé entre le passé et le présent, entre l’imagination et la réalité, plus rien ne fait sens. Tout semble si familier mais rien ne se suit. Aucun enchaînement de faits ne tient la route mais une histoire arrive à se tisser malgré tout. 

Comme après un rêve, en fermant le livre, nous n’en savons pas tant davantage. Les quelques indices que nous avons réussi à amasser ne font qu’alimenter notre confusion. Mais on aime ça, rester sur notre faim. Il n’y aura pas de deuxième tome qui viendra donner la clef du mystère au premier. Tout ce que l’on pourra dire c’est que c’était beau, et est-il nécessaire de comprendre ce qui est beau ?


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