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Essayer l’erreur

Petit cours d’écriture à l’usage de tous.

Gwenn Duval

Ma proposition de cette semaine est la suivante : arpenter la montagne de l’essai au risque de faire erreur. Je me demande encore si l’entreprise d’une telle randonnée est une bonne idée. Quoi qu’il en soit, elle me titille assez pour que je ne puisse l’ignorer. N’ayez crainte, nous pourrons toujours faire escale dans le safe space du déni des pensées délictueuses.

« Try again. Fail again. Fail better », « Essaye encore. Échoue encore. Échoue mieux ». Un Thomas me parlait dernièrement d’un certain Samuel et j’ai songé à la douce particularité que nous offrait ici la langue de Beckett. Tout porte à croire que c’est l’impératif qui s’est imposé à sa pensée. Pourtant, vous pardonnerez mon esprit zélé d’y ajouter une petite onomatopée qui se prête, aujourd’hui, assez couramment à l’échec : « aïe ». 

-Aïe.

-Try again. Fail again. 

-Aïe !

Homonymie parlante : I fail again. Nul besoin de fléchir le fail, il est déjà en bonne et due forme. Même chose pour vous : you fail again

Oui, vous échouez. Vous échouez à comprendre où je veux en venir. Peut-être ne suis-je pas assez claire, aussi laissez-moi avoir recours à ce cher Raymond Devos qui a écrit tout spécialement pour moi, vous et tous les autres dont la langue se fait parfois obscure et les oreilles tordues : « si vous voulez comprendre ce que je dis, ne m’obligez pas à m’exprimer clairement ! ».

De deux choses l’une : premièrement, qui fail ? Celui qui échoue à se faire comprendre, à transmettre sa pensée, ou bien celui qui n’attrape pas la balle qui a été lancée dans une trajectoire inattendue ? Les deux, peut-être. 

Deuxièmement, échouent-ils sur la même île — la métaphore me semble, ici, très loin d’être abusive — ou sur des rivages éloignés ? L’unique différence se loge peut-être dans la distance qui sépare les deux naufragés. Cette distance dépend-elle de l’envergure de l’erreur ? Si la forme est foireuse, c’est le fond qui sombre. Dans un écrit, l’abondance de détails médiocres peut être bien plus difficile à régler que s’il en avait simplement fallu modifier la teneur. Tirez des traits, si le chemin est parsemé d’apories, tentez une nouvelle route. Il faut oser la relance. 

Si j’avais le choix entre me laisser dériver parmi les mots ou garder le cap, j’opterais sans doute pour la route directe. Elle amène plus rapidement à destination, et, bien que j’apprécie la ballade autant que l’arrivée, toucher au but permet de repartir vers une nouvelle terre. Plus long parcours, plus de paysage, plus de découvertes, plus d’apprentissages. Cela dit, de la façon que je tiens la plume, il m’est impossible de ne pas me soumettre, ne serait-ce qu’un brin, aux intempéries du langage ; puisque mon petit cours est un navire qui vogue sous le vent des pensées. 

Voyez, ma montagne s’est transformée en vague. Pour dire vrai, je préfère parler des choses que je connais un peu mieux. Je ne pense pas que ce soit une fermeture de l’esprit, mais plutôt un essai d’humilité, peut-être que je fais erreur. Les raisonnements que je pourrais partager avec vous seront certainement plus intéressants s’ils touchent à une discipline dont je connais un peu les ressorts. Permettez-moi de vous parler de réglages pour les essais et erreurs qu’ils requièrent. Ne perdez pas de vue la page, c’est votre voile. 

Je vous ai dit plus tôt qu’il fallait oser la relance, sans vous préciser ce que je pouvais sous-entendre : à bord d’un navire qui remonte au vent, relancer c’est laisser sa grand-voile se gonfler après un virement de bord. Accepter de relâcher la tension pour gagner de la vitesse, ne pas optimiser sa direction pour un temps en attendant que le vent adonne. Un capitaine sur la Méditerranée m’a un jour dit : « Trran-quillement, on va bien plous rra-pidement ». 

Imaginez-vous faisant face aux récifs, vous avez enchaîné les erreurs et vous voilà mal pris (ou bien volontairement mis dans une telle situation pour voir comment vous réagirez). Une analyse fine du contexte vous fera voir que le vent ne vous permettra aucune erreur. Que faire quand on n’y a pas droit et que le choix d’agir ne se pose pas ? Vous essayerez, délicatement d’abord, pour tester les réactions de votre embarcation. Le risque de perdre trop de vitesse vous guette, décrocher vous précipiterait sur les rochers. L’oreille tendue vers le vent, c’est ici que vous inventerez votre livre du maître… ou exprimerez vos dernières volontés. 

Se mettre en danger, le laisser se rapprocher pour apprendre à l’esquiver, par écrit et dans la vie. Se mettre en danger est, selon mon humble avis et pas seulement le mien, une condition sine qua non à la réussite. Créer des amalgames d’idées susceptibles de susciter les sifflements viscéraux, générer des malaises et les apaiser ensuite, glisser des thèses affligeantes au milieu de discours sensés, c’est cela, pour moi, jouer. Radicalismes, essais ; erreurs, horreurs. L’intention n’est pas d’effrayer la chronique, c’est une simple histoire de réglages. Gauss viendra à point éclairer l’équation, nous en reparlerons. J’essaye de façonner tout en tentant de vous traduire mon babil : ça fait flop, flop, flop, comme les ailes d’un geai blessé : « aïe ».


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