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Opening Night

Le Théâtre des Quat’sous fait son cinéma. 

Il fait partie de la tradition du cinéma de créer de grands films à partir de pièces de théâtre, que l’on pense à Twelve Angry Men, les nombreux Roméo et Juliette existants, ou plus récemment encore  August : Osage County. Avec Opening Night, le Théâtre de Quat’sous entreprend le pari difficile d’exécuter l’inverse : on adapte ici le film du même nom de John Cassavetes pour la scène.

Transposée au théâtre, la pièce fonctionne selon le mécanisme de mise en abyme par excellence : le théâtre dans le théâtre. On y raconte l’histoire de la mise en scène d’une pièce qui vient d’être bouleversée alors qu’une adolescente de 17 ans, admiratrice éperdue de l’actrice principale, se fait mortellement frapper par une voiture devant le théâtre. À partir de ce moment, l’actrice Myrtle Gordon, interprétée par Sylvie Drapeau, se trouvera hantée par cette mort, symbole morbide de la jeunesse et de ses promesses infinies. Cette jeune fille pétrifiée dans l’âge par sa mort rappellera cruellement à Myrtle son propre vieillissement, sujet qu’elle se trouve forcée d’aborder dans la pièce dans laquelle elle joue.

Toute la pièce repose sur la performance de Drapeau, sur sa capacité à exécuter de façon convaincante la folie grandissante et l’hystérie paranoïaque, le tout  avec un pathétisme qui ne tombe pas dans le ridicule.  Le jeu est somme toute époustouflant et spectaculaire, alternant entre des poses de femme maîtresse de son art et sûre de son influence sur les autres, à des tortillements de gamine capricieuse et irascible, puis de véritables hurlements de damnés.

Autour de Myrtle évolue tout un petit écosystème théâtral, cruellement dépendant de la performance de l’actrice sur scène. La distribution est sobre et efficace : Muriel Dutil interprète le rôle de l’auteure de la pièce dont il est question, d’une façon qui bien que solide, semble effacée et sans vrai poids devant les enjeux plus violents de la pièce. Stéphane Jacques joue le rôle du metteur en scène prêt à tout pour obtenir les résultats lucratifs escomptés de son actrice. Agathe Lanctôt joue sa femme, également actrice, qui dans une scène émouvante habille Myrtle pour sa performance, en se reléguant docilement au deuxième plan devant le malheur dévorant et sublime de son ainée. Les autres acteurs dans le rôle d’acteurs sont Sacha Samar et Mani Soleymanlou, les deux n’étant d’aucune aide à la situation de Myrtle, l’un par son cynisme qui vire à l’exaspération, et l’autre par son admiration déplacée pour l’actrice qui ajoute une touche d’humour au tableau d’ensemble. Jade-Măriuka Robitaille interprète quant à elle l’adolescente morte, dont le visage angélique et mutin contraste avec effets par les images de violence et de sexualité que Myrtle projette sur ce cadavre ambulant.

La sobriété des décors, de simples panneaux pivotants et quelques fauteuils, fait en sorte que l’on est incessamment rappelé au lieu qu’est la scène. L’univers du théâtre devient ici un univers cauchemardesque, son sol sombre inéluctable devenant peu à peu le réceptacle de toutes les hantises de l’actrice principale, mais aussi de celles de ses coéquipiers acteurs et régisseurs qui dépendent l’un de l’autre afin d’affronter tant bien que mal le monstre grondant qu’est le public. 

Malheureusement une finale trop rapide et une conclusion nébuleuse empêchent de se laisser totalement emporter par cet effet vertigineux de miroir que souhaite produire la mise en abyme. 

Quoi qu’il en soit, la production fait montre d’un talent assez exceptionnel pour entraîner le public d’un niveau à l’autre de son histoire. On en ressort fasciné par le travail d’acteur et certainement inquiété par ses démons. 


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