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Paresse buccale

Une chronique qui ne mâche pas ses mots.

 

Je me souviens encore de mes premiers dîners mcgillois. J’avais alors cette impression accordée à la température ambiante : ces mets tout droit sortis de ma cantine de résidence universitaire (BMH pour les quelques connaisseurs férus de grande gastronomie) avaient un certain goût exotique. De vrais hot dogs, des biscuits mi-cuits, des sandwichs créatifs à la confiture et au beurre d’arachide, des pizzas traditionnelles, des poutines aux goûts subtils… Ces délices de la gastronomie nord-américaine me bouleversaient hors de ma France natale. Mon avenir à McGill avait alors un gout de mensonge cinématographique hollywoodien, avec quarter back en entrée, fraternité en plat, mariage prometteur en troisième année et fromage s’il vous plaît.

Aujourd’hui mes rêves par la neige enterrés, une masse graisseuse sur mes hanches accumulée, mon cerveau de calories affamé, les menus mcgillois mémorisés et mes finances rationnées, je ne déguste plus, je me nourris. J’avale sans goûter ni me délecter, espérant juste que mon estomac sera anesthésié. Une vie construite sur une équation compliquée : s’alimenter sans mettre ses comptes en hypoglycémie. La faim justifie alors tous les moyens (excusez le jeu de mots facile mais si tentant). « Mais il est délicieux ce sandwich grillé à trois dollars. Mais si, il est vraiment bon, y’a plein de fromage. » De fromage, vraiment ? Si ces remarques quotidiennes dignes d’une relâche affligeante arrivaient jusqu’à la machine auditive de ma bonne grand-maman, elle m’infligerait la torture pour négation de la culture gastronomique (fouet, pique-bigorneaux, mortier, rouleau, brochette, râpe, hachoir… ils peuvent être vicieusement détournés!). Je prends quand même le risque.

Mes besoins animaux se faisant toujours plus ressentir, je reviens à un état sauvage, oubliant les us et coutumes du palais que je souhaitais redorer par cette chronique. Sans repli parental à moins de 5800km, je fais comme tout étudiant : je suis un ventre avare. Si la queue au Tim Hortons est d’une demi-journée, et bien je m’y ajouterai. Si c’est pâtes au dîner, c’est par pur amour de la routine. Si j’ai envie d’un plaisir de marque, ce sera des Cheerios chez Dollorama. Si des salades immondes sont proposées en accompagnement pour un prix léger, je saurai les savourer. Si on me propose un dîner, il serait impoli de refuser. Si le lait est un peu périmé, j’affirmerai que je l’aime à maturité.

« Coca Colbouse et Burger shit, goodbye gousse d’ail, goodbye marmite » chantait Richard Gotainer (un grand classique chez les 6–12 ans) pour exprimer son désarroi face à l’affaiblissement de la cuisine dite grand-maternelle face à la montée inexorable de la Junk Food. Aujourd’hui, si ce grand chanteur et amoureux de la francophonie se concentrait sur notre style de vie, son « goodbye » serait remplacé par un simple « adieu ». Nous vivons dans un tel monde de rapidité, d’efficacité, d’économie, que même nos dîners sont voués à rimer avec productivité et moindre qualité. Une triste réalité à vous couper l’envie de manger.

Crisedefoi


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