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« Pierre qui roule n’amasse pas mousse »

Construction descendante – Chronique

Il est d’usage de croire que le voyageur, le nomade, l’errant ; appelez-le comme bon vous semblera, n’accumule pas ou peu de richesse. Plus il va et vogue, plus le temps qu’il aurait pu consacrer à amasser une fortune va et vogue de même. Prenons Pierre, voyageur intrépide et tentons de lui racoler sa mousse.

Pour le lecteur avide des sciences de la Terre, il suffira de dire que Pierre, roulant sa bosse sur différents terrains, y recueille les empreintes d’une grande variété de mousses, ce qui donne une dimension tout à fait unique à sa composition. Mais les choses ne sont pas si simples et la Science, comme on a pu le voir à maintes reprises, ne peut se prétendre détentrice d’une vérité sans risquer de devenir pur mensonge. Devant cette impasse logique qui oppose l’hypothèse scientifique avec la dimension humaine des chemins de l’esprit, le seul recours qui s’offre à moi pour vous prouver qu’«un amas de mousse roule sous les pierres » (de la façon la plus honnête qu’il soit) se retrouve dans le surenchérissement de l’impasse logique.

Ne vous en faites pas, je m’explique et vous verrez que ce qui aura pu vous sembler, de prime abord, un amas de termes juxtaposés sans direction se révèlera, en bas de la pente, d’une simplicité et d’une clarté apaisante.

La complexité de la composition d’un être se retrouve dans chaque instant qu’il aura parcouru, que ce soit couché dans son lit, survolant l’Alaska ou encore assis sur une chaise de classe. Il peut sembler que le voyageur, le nomade, l’errant soit celui qui parcourt l’espace. Je pense au contraire qu’il s’agit de celui qui parcourt le temps.

Vous vous dîtes que cela généraliserait le terme de l’errant jusqu’à pratiquement arriver à l’équivalence entre vivant et voyageur et vous perdez Pierre de vue. Patience, nous le retrouverons parmi les mousses.

Mettons que le temps, c’est le verbe « rouler ».

Comme je vous disais, l’espace dans lequel « roule » Pierre, c’est le temps lui-même. Je ne suis pas en train d’effacer l’espace sous le temps, je dis simplement que c’est le temps qui donnera à l’espace la permission de poser son empreinte sur Pierre. Sachant que Pierre est en mouvement perpétuel, le temps ne lui permet pas d’accumuler plusieurs éléments d’une même source, plusieurs cellules d’une même mousse, plusieurs incarnations d’un même moment. C’est la mosaïque créée par l’écoulement du temps qui permet la composition unique de Pierre. Le voici donc, errant sous ses multiples mousses. Poursuivons maintenant avec simplicité pour parvenir à notre nouveau dicton.

Comme vous l’avez compris, Pierre est unique, les mousses sont multiples. Elles se mélangent, s’amalgament, se coordonnent, pour tout dire, s’amassent. Pourtant, Pierre est multiple puisque Pierre est le voyageur, que le voyageur parcourt le temps et que vous et moi, tout comme ceux qui ne liront pas cela, parcourons le temps. Entraînant à sa suite ses instants passés, l’errant dévale la pente en parsemant son passage de sa présence instantanée, initiatrice de mouvements alentours. On peut ainsi dire, sans crainte : « l’amas de mousse roule sous les Pierres ».


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