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Photographier la vi(ll)e

À l’affiche au CCA : Photographier la ville arabe au 19e siècle.

Webmestre, Le Délit | Le Délit

De l’exotisme des contes des Mille et Une Nuits aux révolutions populaires d’aujourd’hui, la ville arabe a toujours fasciné les observateurs étrangers. À la fois effervescente et mystérieuse, ses singularités ont poussé de nombreux photographes, amateurs comme professionnels, à tenter d’en capturer la magie. C’est précisément cette détermination à la comprendre et à l’explorer que nous propose d’entreprendre le Centre Canadien d’Architecture (CCA) avec son exposition « Photographier la ville arabe au 19e siècle », présentée jusqu’au 25 mai prochain. Sous le commissariat de Jorge Correia, professeur associé à l’école d’architecture de l’Université de Minho au Portugal, cette exposition interprète la manière dont la ville islamique traditionnelle a été représentée par différents photographes européens (dont Francis Frith, Emile Béchard, Félix Bonfils et Maxime du Camp, ami de longue date de Flaubert).

En guise d’introduction à la visite, Fabrizio Gallanti, directeur associé des programmes au CCA, signale la volonté de « déstructurer le discours occidental par rapport à la ville arabe ». Un discours généralement condescendant, visant à diffuser une perception du monde oriental comme celle d’un monde immature, insalubre et chaotique, qui se doit de changer. Effectivement, les phénomènes liés à la colonisation européenne du Maghreb ont trop souvent construit une certaine idée de ces espaces de vie, tout en négligeant les règles, les lois, ainsi que la structure qui les définissent. En ce sens, Jorge Correia nous rappelle que les villes du Maghreb et du Moyen-Orient possèdent un cœur (la cour), un sens géo-référentiel (la Mecque) et des systèmes sociaux élaborés caractérisés, notamment, par l’usage de moucharabiehs visant à protéger l’intimité du foyer tout en portant un regard sur le monde extérieur. La distinction entre le « halal » (le permis, le licite) et le « haram » (l’illicite, le sacré) prend également une place prépondérante lorsqu’il s’agit de concevoir la dynamique de ces lieux, participant certainement à façonner leur unicité et leur intrigue.

De surcroit, les recherches du professeur Correia et sa connaissance du monde arabe font référence aux événements contemporains de ces villes et à l’importance de leur organisation, autant physique qu’inconsciente. Par exemple, on comprend que la place publique n’existe pas comme on l’entend en Occident, que Jemaa el-Fnaa au Maroc était un marché avant de devenir un place touristique, que Tahrir en Egypte est une reproduction des places européennes. La vie en communauté s’organise bien plus autour des mosquées et des cours intérieures (privées ou publiques), et la lecture de certaines photographies montre que chaque minaret correspond à un quartier différent de la ville, un monde annexe mais subtilement distinct.

« Photographier la ville arabe au 19e siècle » se base donc sur une approche morphologique pour décoder les messages de ces lieux, avec pour but final une interprétation objective de ces mêmes lieux. Intitulée « Lever le voile », la salle octogonale du CCA cherche, selon Jorge Correia, à « reconnaître dans l’autre une certaine organisation de la société, de la vie » le temps de cette exposition.

La cinquantaine de photographies tirée de la collection du CCA et mise en lumière lors de cette exposition révèle bel et bien une démarche profondément pédagogique de la part de l’institut canadien, permettant à tout intéressé de penser une image juste d’un univers parfois ignoré, ou, pire encore, révisé, au sens historique du terme. L’usage de la photographie comme médium illustre parfaitement cette volonté de retranscrire une réalité urbaine telle qu’elle, avec honnêteté, mais, aussi, avec poésie.


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