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Drôle d’oiseau dans le décor

Découverte de “L’Autruche” chez La Pastèque, par Jean-François Martin (illustrations) et Suzanne Côté (récit).

Quand une autruche se balade sur les toits, c’est une petite magie qui change une vie.

Ernest Malami est un homme de tout ce qu’il y a de plus ordinaire, discret et sans prétention. Il occupe un poste obscur, sans doute insignifiant, au sein du service d’urbanisme de la ville. Il porte un chapeau qui lui obscurcit le visage, un costume noir quelconque, n’a jamais posé de question à ses supérieurs et pourrait bien vivre toute sa vie sans embêter quiconque. Mais Ernest, malgré son parcours banal, semblant n’intéresser personne, est un passionné : il vit dans l’amour des toits.

« Ernest Malami s’intéressait aux toits en tant que toits. Il en tenait une comptabilité rigoureuse. Il les répertoriait selon leurs différentes qualités. Il établissait des statistiques, les analysait, échafaudait des théories, en détruisait d’autres. (…) Son amour portait indifféremment sur les plus modestes et les folies d’excentriques. Il comptait réunir ses travaux en un grand livre, une sorte de bible des toits. »

Si les toits passionnent Ernest, c’est parce qu’un toit, « c’est ce qui abrite l’intérieur ». La question est de savoir ce que cet homme austère abrite lui-même dans son intérieur ; ce dernier lui permettra-t-il de vivre l’aventure qui l’attend ?

Cette aventure sortant de l’ordinaire est déclenchée par l’arrivée surprenante d’une autruche dans le paysage monotone du protagoniste. Quel est donc cet oiseau qui se balade sur les toits de la ville et empêche notre employé modèle d’accomplir son travail ? Comment un animal qui ne vole pas peut-il se promener de toits en toits, et cela exclusivement sous le regard d’Ernest ? Et surtout, Ernest doit-il lutter contre cet élément du merveilleux qui s’impose ou au contraire, l’embrasser ? Doit-il saisir cette chance, peut-être unique, de sortir de l’anonymat ?

Quand une autruche se balade sur les toits, c’est une petite magie qui change une vie.

La grande force de cet album, c’est d’avoir su équilibrer parfaitement la sobriété du texte et celle des dessins, d’avoir rendu un personnage aux apparences insignifiantes complètement  touchant et unique, tant par le biais de dessins aux échos surréalistes que par la poésie d’un texte authentique. Mais c’est aussi d’avoir doucement raconté l’histoire d’ « un homme ordinaire, pas dérangeant, reposant comme un paysage de campagne, en quelque sorte. Un homme tout absorbé par son travail, sa passion. Sa seule passion. Subitement mise en péril ».

Récit énigmatique, L’Autruche mêle peintures et collages, symboles discrets et illustrations un peu vintage. Ce n’est pas pour rien que les éditeurs de La Pastèque eux-mêmes présentent cet album comme un « véritable livre ovni ». Difficile de décrire cet objet original, intriguant. Le format s’apparente à du traditionnel réinventé, proche d’un livre pour enfants : des illustrations occupent les pages impaires tandis que les textes, courts, sous forme de colonnes centrées dans l’espace, s’exposent sur les pages paires. La présentation est sobre et délicate, presque poétique. Impossible de ne pas flâner sur chaque dessin en rêvant à cette petite note de magie qui pourrait bien aussi changer nos propres vies. Ainsi, sans aucun doute, L’Autruche est une petite douceur à s’offrir pour rêver à ce qui abrite nos intérieurs.

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