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Limites à l’expression

Droit de grève, étudiants et syndicats : quel pouvoir face aux employeurs et au gouvernement ?

Une conférence sur les problèmes actuels dans le monde du travail a été organisée le mardi 5 novembre dans le cadre de la Semaine du travail à McGill. Trois conférenciers ont essayé d’expliquer les enjeux reliés au monde syndical : Jamie Burnett, agent des griefs à l’Association des étudiants et étudiantes diplômé(e)s employé(e)s de McGill (AÉÉDEM), ainsi que Thomas Lafontaine et Caroline Jacquet, respectivement responsable aux affaires externes et responsable à la convention collective du Syndicat des étudiant(e)s employé(e)s de l’UQAM (SÉTUE).

 

Formule Rand et limites à la grève

La formule Rand a été mise en place au Canada par le juge Ivan Rand en 1946. Cette formule avait mis fin à une grève des travailleurs pour la compagnie automobile Ford à Windsor en Ontario. Lorsqu’elle est incluse à la convention collective entre l’employeur et le syndicat, la formule rend les cotisations syndicales obligatoires pour tous les employés, qu’ils fassent partie du syndicat ou non, pour éviter que certains ne bénéficient des avantages du syndicat sans en faire partie. Au lieu de collecter les cotisations personne par personne, le syndicat les reçoit de l’employeur qui les prélève directement du salaire de chaque employé. Ce système a permis aux syndicats de se concentrer sur d’autres actions que la collecte de fonds.

Toutefois, la formule Rand rend les syndicats et les employés non-syndiqués susceptibles de subir des pénalités financières par l’employeur. En effet, en cas d’arrêt de travail ou de grèves illégales, les cotisations syndicales pourraient ne plus être versées par l’employeur. La formule Rand laisse croire que les syndicats ont échangé leur droit de grève contre une stabilité financière accrue.

 

Grève illégale

Une grève légale doit prendre place durant la négociation de la convention collective (une fois tous les trois ou quatre ans) et uniquement toucher les sujets reliés à la convention collective (tels que les salaires ou les régimes de retraite). Si la grève sort de ce cadre (grève de solidarité par exemple), on parle alors de grève illégale et les pénalités de la formule entrent en force. La grève du syndicat des employés non-académiques de McGill, (MUNACA, McGill University Non-Academic Certified Association) commencée en septembre 2011, était légale.

 

Plus grande liberté pour les étudiants ?

En 2012, plusieurs associations étudiantes au Québec ont déclaré une grève « générale et illimitée » lors du débat sur la hausse des frais de scolarité. Était-elle légale ? En réalité, cette grève n’en était pas une du point de vue juridique, mais était plutôt un « boycott », comme mentionnée lors de la conférence. Les étudiants, n’étant pas salariés, n’ont pas de droit de grève. Ils ne sont pas non plus sous la juridiction de la formule Rand et de ses pénalités dans le cas d’une grève illégale. Ceci pourrait donc permettre une plus grande liberté d’action aux associations étudiantes, qui pourraient, en principe, ne pas être pénalisées financièrement.

 

Injonctions et réglementation

En 2012, la loi 78, une loi spéciale adoptée par le gouvernement libéral de Jean Charest, tente de bâillonner le mouvement étudiant en criminalisant d’une certaine façon les manifestations. En 1999, la grève des infirmières syndiquées de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec fut également soldée par une loi spéciale, la loi 72. Même résultat pour les grèves d’Air Canada, de la poste canadienne, et du secteur de la construction.

Si les gouvernements emploient des lois pour miner un mouvement de grève, les employeurs peuvent pour leur part limiter le droit de grève en utilisant des injonctions à travers le système judiciaire. Par exemple, lors de la grève de MUNACA, McGill a fait une demande d’injonction interlocutoire. Celle-ci limitait l’accès au campus universitaire des membres de MUNACA pour piqueter, malgré que les piquets de grève n’empêchaient personne d’aller en classe. D’après Thomas Lafontaine et Caroline Jacquet, les lois spéciales et les injonctions sont tout autant de tactiques visant à réduire le droit de grève.

Des solutions pour l’avenir

La non-application de la formule Rand aux étudiants leur a donné un avantage durant les grèves étudiantes du Printemps 2012 Printemps érable. Doit-on donc essayer d’abolir la formule Rand ? Le problème, dit Jamie Burnett lors de la conférence, est qu’abolir la formule Rand ne redonnera pas le droit de grève aux syndicats : « on ne peut pas retourner en arrière ». Il ajoute que, sans cette formule, les syndicats perdraient en influence.

D’autres stratégies peuvent être efficaces pour augmenter le pouvoir de négociation des employés et étudiants. D’abord, une meilleure information et une meilleure éducation sont nécessaires. Les membres des syndicats ont besoin d’être informés sur le fait qu’ils en sont membres, et sur les bénéfices qu’ils peuvent en tirer. Ensuite, une meilleure collaboration est requise entre les différents syndicats et associations, qui doivent s’entraider et jouer sur les forces de chacun. Aussi, il faut créer une certaine émotion, c’est-à-dire favoriser un sentiment d’appartenance au groupe ainsi qu’une grande liberté d’action. Ceci est un facteur clé pour la force et la réussite d’un mouvement. Il faut aussi ouvertement présenter les demandes du mouvement au reste de la société et ouvrir une discussion sur la réelle étendue des demandes.

Le droit de grève fait partie d’une démocratie en bonne santé. Le gouvernement québécois ne semble toutefois pas toujours de cet avis. Par exemple, la Commission Ménard, mise en place récemment pour enquêter sur les événements du « Printemps érable », a très peu de temps pour dresser un bilan et très peu de marge de manœuvre pour faire la lumière sur les pouvoirs des associations étudiantes.


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