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Pour que chacun existe


« Personne ne réussira à tuer les consciences du monde. » Cette phrase n’est pas la première ligne d’un manifeste, ou la conclusion d’un discours. C’est un slogan, écrit sur une pancarte portée par des journalistes maliens le lundi 4 novembre, en hommage à Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Ces deux journalistes ont été tués après avoir été enlevés à Kidal, dans le nord du Mali, alors qu’ils travaillaient dans le cadre d’une journée dédiée à la réconciliation nationale au Mali pour Radio France Internationale (RFI). RFI est un relais d’informations francophone très important en Afrique, où elle était écoutée par 33,1 millions de personnes en 2011.

À propos de ce meurtre Luc Rosenzweig, journaliste de l’hebdomadaire français Causeur, pose la question suivante : « le devoir d’informer, raison d’être d’une presse libre, justifie-t-il que des journalistes prennent des risques inconsidérés ? » Il répond que malgré leurs bonnes intentions ces journalistes auraient dû attendre que la menace djihadiste soit effectivement éradiquée avant de procéder à des investigations. En d’autres termes, l’information devrait céder le pas à l’action militaire. Mais il ne nie pas l’importance d’une presse libre et d’une information exhaustive.

Ce point de vue est défendable : en effet, en se rendant dans des lieux dangereux, les journalistes mettent non seulement leur vie en danger, mais aussi celles des militaires qui seront immanquablement dépêchés à leur secours. De plus, ils prennent le risque d’être utilisés comme monnaie d’échange, ce qui nuit à leur intérêt premier en renforçant indirectement les revendications des groupes terroristes, à qui ils servent de moyen de pression.

Cependant, le rôle de l’information n’est pas de se taire, ni de raconter uniquement ce qui est accessible : ces journalistes ont été tués pour que soit entendue la voix des habitants des zones de non-droits. Ce ne sont pas des « têtes brûlées », mais des êtres conscients de leur devoir, et les deux reporters de RFI étaient spécialistes de l’Afrique et du grand reportage. Le devoir d’effacer de la carte les espaces où la loi n’a plus cours, ces zones où ce ne sont plus deux journalistes qui sont tués ou pris en otages, mais des milliers d’êtres humains.

C’est une tension perpétuelle qui anime les grands reporters, entre la mort et la connaissance. Faire la lumière sur les zones d’ombres, voilà en quoi consiste le métier d’un journaliste d’investigation.

Jérôme Garcin, auteur et journaliste français, écrit dans son livre Olivier, à propos du journalisme : « j’en aime la rigueur, les contraintes, les utopies, l’impérieux devoir de justice et la caracolante urgence. » La flamme qui anime ces journalistes leur fait donc prendre des risques, mais loin d’être déraisonnés, car ils sauvent des vies et redonnent de l’espoir et de la dignité aux sans-voix.

Ne pas intervenir, ou attendre que la menace soit éteinte pour investiguer reviendrait à donner raison aux terroristes : le fait que leurs (ex)actions ne soient pas connues ne ferait qu’accroître leur barbarie ; être invisible justifierait pour eux une escalade de la violence. Et les victimes seraient isolées, puis oubliées. Alors certes, un homme et une femme, deux professionnels, ont été tués. Leur soif d’informer a buté contre la barbarie. Mais l’idéal qui les dirigeait, la diffusion de la vérité, doit quant à lui rester immortel.


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