Aller au contenu

Payer pour travailler ?

Quels sont les enjeux liés aux stages non rémunérés ?

Une cinquantaine de personnes se sont rassemblées le mercredi 30 octobre à la Faculté de droit de McGill pour discuter des stages non rémunérés offerts aux étudiants du Baccalauréat intégré en droit civil et en droit coutumier (Bachelor of Civil Law/Bachelor of Law, B.C.L/LL.B). Il existe différents types de stages. L’étudiant peut par exemple assister un professeur dans l’enseignement d’un cours, ou encore œuvrer au sein d’un organisme communautaire. Les étudiants obtiennent de deux à six crédits pour leur travail, mais aucune compensation monétaire n’est généralement octroyée.

« À la Faculté de droit, il y a plusieurs occasions de stages pour les étudiants, mais il y a très peu de lignes directrices quant à ce qui doit être reçu en échange du travail accompli et la forme que ce travail doit prendre », affirme Katie Spillane, coordonnatrice des stages juridiques auprès des organismes communautaires et organisatrice de l’événement, en entrevue avec Le Délit.

L’objectif de la rencontre était donc d’entamer une discussion afin d’éventuellement développer de telles lignes directrices. Toutefois, « la discussion a soulevé plus de questions que de réponses », poursuit Madame Spillane.

Les étudiants paient leur stage

Les six conférenciers invités à cette rencontre se sont, entre autres, penchés sur les circonstances qui pourraient justifier que les étudiants aient à débourser de l’argent pour prendre part à un stage, par le biais des frais de scolarité associés aux crédits reçus.

Pour Hugo Collin-Desrosiers, coordonnateur en justice sociale et droit public au centre de développement professionnel de la Faculté de droit, les étudiants ne devraient pas payer de frais de scolarité pour travailler au sein d’un organisme communautaire. « Quand l’étudiant se retrouve à payer des frais de scolarité qui vont à l’Université, mais que l’effort de formation est fait par des gens qui sont à l’extérieur, je me demande dans quelle mesure c’est légitime et cohérent », affirme-t-il lors de la discussion.

De son côté, Sean Cory, président de l’Association des Employés de Recherche de l’Université McGill (AMURE), souligne que l’obtention de crédits pour un stage a l’avantage de permettre aux étudiants de réduire  la quantité de travail scolaire qui doit être accomplie au cours de la session. Selon lui, la solution réside plutôt dans la mise en place de mécanismes pour s’assurer que l’étudiant retire autant par son stage que ce qui aurait été appris dans un cours.

Certains membres du public ont pour leur part affirmé que l’obtention de crédits n’était pas incompatible avec l’absence des frais de scolarité, ni d’ailleurs l’apprentissage de la compensation monétaire. D’autres ont signalé que les stages non rémunérés risquent d’entraîner une dévalorisation du travail communautaire.

À ce propos, Monsieur Collin-Desrosiers souligne le danger que, faute de rémunération et d’une  reconnaissance sociale de l’importance du travail communautaire, l’investissement personnel des stagiaires décline. « Ça n’a pas de sens parce que les conséquences pour les gens qui ont besoin de ces ressources sont bien réelles, particulièrement dans les situations où les mécanismes publics n’existent pas ou ne sont pas fonctionnels. »

Les stages et le droit

Selon Isabelle Boivin, avocate chez Trudel Nadeau Avocat et invitée à la discussion, le travail d’un stagiaire devrait être balisé afin d’éviter les situations où l’étudiant accomplit des tâches administratives qui ne sont pas reliées à son domaine d’étude. Elle affirme que la législation ne donne pas un statut particulier aux étudiants et, par conséquent, le travail effectué par ceux-ci devrait être rémunéré conformément à la loi. La seule exception provient de l’article 3 de la Loi sur les normes du travail, qui exclut de son application les stages hors campus reconnus par l’établissement d’enseignement. À travers ce processus d’approbation, « l’université a un pouvoir sur ce qui est acceptable ou non », maintient  l’avocate lors de la discussion.

Mme Boivin ajoute que le travail bénévole n’est pas non plus couvert par cette loi. Elle précise toutefois que la jurisprudence a déjà exigé qu’un individu obtienne rémunération pour son travail. « Il y a des cas où on est venu dire que non, dans ce cas-ci, ce n’est pas du bénévolat, la personne rend service à l’entreprise, exécute des tâches connexes à celle d’autres employés de la même entreprise et ça ne rentre pas dans le cadre d’aucune exclusion, donc c’est un salarié visé par la législation », explique-t-elle en entrevue avec Le Délit.

En ce qui concerne les stages de soutien aux professeurs, le programme B.C.L/LL.B étant considéré comme une formation de premier cycle, ses étudiants ne sont pas protégés par la convention collective entre l’Université McGill et l’Association des étudiant-e‑s diplômé-e‑s employés de McGill, qui encadre le travail des auxiliaires d’enseignement.

Au cours de la discussion, la vice-doyenne à l’enseignement de la Faculté de droit, Jaye Ellis, s’est montrée ouverte à une éventuelle conversation sur la rémunération potentielle des auxiliaires d’enseignement en droit. Elle a également affirmé ne pas connaître les barrières à un tel projet, « d’où l’importance d’avoir cette discussion », dit la Vice-Doyenne.


Articles en lien