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De la fourrure à un grand vison

Le théâtre Jean-Duceppe et la Vénus au Vison.

ll faut croire qu’après le monstrueux succès de Cinquante nuances de grey, le thème sado-maso est bel et bien d’actualité. C’est en effet au tour du metteur en scène Michel Poirier et de la traductrice Maryse Warda de monter au Québec le Venus in Furs de David Ives, spectacle qui avait déjà beaucoup fait parler de lui en 2012.

Le contexte de la pièce reprend de grands thèmes déjà galvaudés : Vanda (Hélène Bourgeois Leclerc), une jeune actrice encore inconnue, rencontre un metteur en scène nommé Thomas (Patrice Robitaille) afin de faire une audition pour le rôle principal de sa nouvelle pièce.

Les clichés sont présents et s’accumulent : Vanda, jeune québécoise, n‘a pas très fière allure, mais incarne parfaitement le rôle de Vanda pour lequel elle auditionne, à  croire qu’elle était faite pour le rôle. Le grand metteur-en-scène Thomas, quant à lui, n’est au contraire pas très à l’aise à donner la réplique, ce qui constraste avec sa condition.

Sur scène, Vanda et Thomas reprennent pour l’audience l’histoire de La Vénus à la Fourrure de Leopold von Sacher-Masoch, que Thomas a adapté. Vanda est une actrice si exceptionnelle que Thomas s’empresse de lui faire jouer les scènes les plus érotiques, avec une telle ardeur qu’ils se retrouvent tous deux dans un jeu coquin d’écho entre la pièce et leur propre vie.

Un grand miroir est installé sur la scène Jean-Duceppe, il agit comme une belle métonymie de la pièce en entier : le miroir dédouble à la fois Vanda de son rôle écrit, mais aussi la scène et l’audience qui voient leurs propres reflets. Nous voilà en présence du théâtre dans le théâtre, de la mise en abyme. Pendant que les acteurs reprennent le scénario de pièce, il apparaît dans ce grand miroir un foyer qui rappelle la passion dévoilée par le jeu de séduction qu’est le dialogue d’acteur.

La double histoire se poursuit rapidement jusqu’à ce que Thomas se fasse réellement dominer par Vanda, physiquement et mentalement. De la même manière que les personnages en apprennent sur eux-mêmes et leurs propres passions, la pièce elle-même réfléchit et relit le célèbre roman duquel elle est inspirée. Car après tout, comme l’affirme Thomas, « le théâtre ne se questionne pas seulement sur de petites questions sociologiques ou anthropologiques ». La Vénus à la Fourrure dévoile donc plus sur les relations entre les amants que le ferait « un petit livre porno », comme le décrit d’une fausse naïveté Vanda. Au contraire, plus la pièce avance et plus elle y voit, ou plutôt fait voir à Thomas, comment l’intrigue est ambivalente. Par ailleurs, les réflexions sur le rôle de la femme et celles sur les études de genre contribuent à donner un sens moderne à l’œuvre de Leopold von Sacher-Masoch. Les petits clichés du début de la pièce viennent même s’accorder avec brio pour aller tisser un réseau de sens.

À la sortie du théâtre, une spectatrice anonyme affirme : « Considérant l’état dans lequel j’étais, je n’étais pas prête à voir une pièce lente. Je me serais écroulée sous la fatigue. Mais là, j’ai ri aux éclats tout le long ! » Sa réaction n’est pas isolée : c’est  en effet toute l’audience qui s’est esclaffée.

C’est finalement la précision de jeu des acteurs qui permet à cette pièce de prendre son sens. Car si le discours est polyphonique, c’est parce que les deux acteurs s’amusent à changer de registre et de ton pour nous faire voir toutes les beautés du texte. Cet impressionnant dialogue d’une heure et quarante minutes, sans pratiquement aucun répit pour les acteurs, brille par son humour et par la réflexion qu’il suscite et transforme ainsi la petite fourrure de Vénus en un beau vison vivant.


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